MC et beatmaker du label OGII’Z, qu’il a créé en 2006, cet artiste de Dunkerque nous présente son premier projet Oedème et se présente.
Combien de temps t’a-t-il fallu pour accoucher de ton premier bébé « Oedème » ?
Un an. Avant de maquetter, j’ai du d’abord faire une sélection par rapport aux morceaux. J’ai préféré partir dans une directive où je ne fais que des sons Soul, entre guillemets, d’où le nom «œdème», pour me différencier, pour taper direct au cerveau, pour ne pas faire comme la tendance où aujourd’hui c’est du synthé et de l’expandeur. J’ai voulu prendre une directive soul. On a maquetté pendant 3, 4 mois, ensuite j’ai pris du recul et on s’est concerté avec les membres d’OGII’Z et puis pendant 6 mois, j’étais en studio. Ça s’est fait tranquillement, on a pris notre temps. J’ai voulu ramener du neuf par rapport à la maquette, j’ai voulu apporter des chanteuses pour avoir plus de couleurs. J’ai taffé aussi avec une violoncelliste de Boulogne qui est aussi chanteuse, Leila Night afin d’apporter une touche classique (notamment sur le titre »J’ai trainé ») et une couleur musicale instrumentiste.
Toutes les productions portent ta signature. Quels sont les avantages d’être producteur et MC ?
L’avantage, c’est que je ne dépends de personne dans le sens où je connais exactement mes productions. C’est une sorte d’alchimie entre l’écriture et la musique qui fait que j’ai d’abord commencé par écrire. Mais comme je ne trouvais personne qui faisait la couleur musicale que je voulais adopter, je me suis dis pourquoi je ne ferais pas du son parce que j’étais tout le temps derrière des gars qui faisait du son, en train de regarder leurs écrans de PC, leurs machines, leurs MPC. Je me suis dit que cela ne doit pas être aussi compliqué que ça, j’ai acheté une MPC et puis j’ai appris en autodidacte.
Ton top 5 des producteurs hip-hop qui t’ont le plus influencé ces dix dernières années ?
Alchemist, DJ Premier, Pete Rock, Doctor Dre, et Jay Dilla que je placerai en premier d’ailleurs.
Ta plus grande claque en soul music ?
On va dire quasiment tous les sons de James Brown. Je ne peux pas les sampler par respect pour lui. Après, il y a Barry White aussi, mais voilà James Brown, si je peux aller sur sa tombe, j’irais poser «Œdème». Concrètement, je ne peux pas citer un son en particulier.
Peut être un album ou un label alors?
Motown, il n’y a pas photo.
En France, dans le HipHop maintenant, il y a pas mal de monde, mais ce qui est dommage c’est que la culture de l’oreille se perd un peu comme les valeurs fondamentales. Par rapport à ça comme cela se passe à Dunkerque ?
Ce n’est pas aussi simple que ça parce que nous à Dunkerque, on est un petit peu en autarcie, entre guillemets. On ne travaille quasiment avec personne là-bas. Je ne bosse qu’avec les gens de mon équipe. Ce n’est pas évident de juger les autres, donc l’évolution du HipHop, je ne la vois quasiment pas. Les gens qui ont sorti des projets sur Dunkerque, je n’écoute pas du tout. Je préfére taffer avec des gens avec qui j’ai eu beaucoup plus d’affinités comme des gens sur Valenciennes ou sur Lille. Je pourrais citer des noms qui évoluent dans le bon sens. Ce sont des gens qui ne partent pas « en couille » musicalement. Dans ma ville il y a des gens qui sont forts, qui kickent mais personnellement, je pense que l’évolution, elle est plus dans le sens inverse.
Ça régresse ?
Oui, ça régresse selon moi….mais la question est un peu ambiguë en fait, vu qu je n’écoute pas donc je ne peux pas juger.
« 1klaztek, t’as le blase dans ton mp man »…Justement en pleine ère du numérique et de l’accélération du temps, est-ce que faire avec les moyens du bord sans négliger la qualité afin de faire exister sa musique est une mission impossible ?
Je pense que tout est faisable dans le sens où on a la motivation, l’inspiration et surtout la recherche. C’est super important de savoir de quoi on parle. La recherche que ce soit pour faire des productions ou écrire des textes. D’ailleurs Veerus pourra le dire par rapport à ses textes, on est obligés de faire de la recherche, de se documenter. On est obligés d’en faire plus que d’autres car si on fait comme X ou Y, on ne va pas faire la différence. Alors que pour des samples par exemple, si on va puiser vraiment, vraiment loin, aller faire des brocantes pour pécho des vinyles ou le MC qui va vraiment se documenter et trouver le mot chant-mé qui passe avec l’époque, qui défonce tout, c’est là que ça va faire la différence. Et je pense que des fois avec très peu de choses, rien qu’avec le savoir, on peut faire des choses de ouf. On n’a pas forcement besoin d’avoir le studio de ouf, le micro de ouf. Comme je dis, après c’est toujours le MC qui fait que le texte va être chant-mé ! Après on peut se peaufiner dans le matériel, tu peux toujours écrire avec un critérium, tu pourras écrire des trucs de ouf. Tu n’es pas obligé d’avoir le stylo plume Waterman.
[Tu nous livres 13 tracks. Ce qui est intéressant, c’est que tu utilises un autre lexique, d’autres formules, d’autres techniques de rime. Y a t’il un titre qui t’a posé plus de problèmes que d’autres ?
Ca n’a pas été un problème. C’était plus un challenge sur «Je prends le large», un morceau que j’ai fait avec Kooros qui est un rappeur qui a un domaine de musique beaucoup plus sombre, plus dark que je respecte totalement, que je kiffe aussi. Et c’est vrai que ce n’est pas évident de bosser avec quelqu’un qui ne pose pas sur des sons Soul ou des sons qui ont une couleur chaleureuse et de pouvoir faire un pass- pass avec une vraie complicité. Cela n’a pas été évident mais c’est là qu’est le challenge. Si ça aurait été une difficulté, je ne l’aurais pas mis sur l’album. Sur « j’ai traîné » le morceau est plus sombre avec des violons, plus dark….]
« Le rap en général sent la honte et surtout un arrière goût de cendre » Quels sont les principaux facteurs de cet état du rap à ton avis ?
L’argent. Je comprends qu’il y a des de gens qui font du son pour manger mais de là à prostituer sa musique, c’est chaud quand même. Il y a d’autres domaines dans lesquels tu peux gagner beaucoup plus d’argent, comme le trottoir. Maintenant, je n’ai rien contre ces gens là, il font ce qu’ils ont à faire mais moi je préfère toucher les puristes, les gens qui savent que c’est du bon. Parce que contrairement à ce qu’on pense, ces gens là savent que ce qu’ils font c’est de la merde. Ils savent que ce qu’ils font, ça pue. Ils le font parce que, quelque part, ils veulent être reconnus. Ils ont besoin d’une certaine reconnaissance. Et ça je le vois de plus en plus avec des gens que je côtoie dans mon entourage. Ils achètent une casquette et ils se disent maintenant «voilà je fais du rap ». Mais ils n’ont rien écouté, ils ne connaissent rien et pour certains par exemple le crunk, c’est le truc par excellence. Je respecte toutes les musiques mais bon de là à ….
Est-ce que tu fais partie de ces personnes qui disent que le rap c’était mieux avant ?
Oui et non. Oui parce que le rap, c’était mieux avant c’est sûr, l’époque de Time Bomb, ça a été un déclencheur pour plein de personnes notamment moi et les gens de mon équipe mais si on se dit ça, on se met des barrières en se disant qu’il n’y aura rien après. Je pense que le rap c’était mieux avant mais il y a une suite…Il y a un cycle, on est là pour terminer la boucle. En tout cas, je pense qu’autour de moi, les gens qui taffent avec moi ont les armes pour faire tourner le cycle.
Et DK (Dunkerque) centre également, c’était mieux avant ou c’est plutôt le fait de devoir grandir qui peut faire regretter?
DK centre, pour moi personnellement, c’est le fief. C’était mieux avant, c’est sûr… Mais après musicalement, on va dire qu’il n’y a pas grand chose qui a été percutant dans le passé. Maintenant, rapologiquement parlant, le cœur de la musique, ça a été toujours sur Paris et c’est là que tout a été fait. C’est là que les gens ont kické à fond.
Sur DK centre, il y a des activistes qui ont essayé des faire des choses mais cela n’a pas été assez percutant pour ce dire voilà on a un passé. Quand on va à paris, Montpellier ou Mulhouse ou ne serait ce qu’à Lille quand on dit DK centre, il n’y a pas de MC qui reflète la ville.
A part certains puristes, les gens qui écoutent du rap ne vont pas pouvoir dire à Dunkerque, il y a un MC qui kicke. Donc c’est vrai que c’est dur déjà de pouvoir sortir de DK centre.
Dans ton album, tu dépeins ta ville entre nostalgie et réalité, inquiétude et espoir. Tu as cette phase »Respecte car nos cités sont des coffres infiniment riches »… Est-ce que de nos jours, les gens ont du mal à réaliser que la cité peut être un atout qu’il faut exploiter ou est-ce qu’ils sont pris dans la machine étatique avec le conditionnement qui s’en suit puis ils oublient d’où ils viennent et leurs richesses ?
Je crois que c’est comme dans tout. Comme dans les religions. Tu as toujours des gens qui savent et qui y croient. Et dans la musique, c’est pareil. Je ne peux pas comparer musique et religion mais je dis juste qu’il y a toujours de l’espoir et qu’il faut y croire. Il ne faut pas lâcher l’affaire même si dans le HipHop, il ne reste qu’une minorité de gens qui écoute du bon son. Les minorités ont toujours des choses à dire. Dans certains pays, ce sont les minorités qui sont encore plus percutantes que les gros mouvements. Et moi, je pense pouvoir faire partie de cette minorité là, de gens qui écoutent du vrai rap. Au Etats-Unis, c’est autre chose mais en France, c’est une minorité, les gens qui écoutent et discutent de vrai son. Alors à l’échelle régionale, c’est encore plus compliqué.
Qu’elle est ta dernière claque musicale, le dernier l’album, le titre ou l’artiste, qui t’a mis la santé, peu importe le genre ?
On va dire que c’est Black milk, un MC et beatmaker comme moi et un peu dans le même état d’esprit Soul. Son dernier album «Tronik» m’a fait mal à la tête, surtout le morceau avec Mélanie Rutherford, «Bond for life», qui est pour moi le son que j’écoute tout le temps quand je me réveille le matin ou quand je vais dormir.
«Oedeme», c’est un titre assez intimiste quand même ?
C’est le premier projet. Pour dire que ça vient direct de mon cerveau pour aller au cerveau des gens. C’est personnel parce que je dis ce que je pense. On va dire que c’est un journal intime ouvert…mais faut pas oublier qu’il y a du sang dans le journal intime. Ce n’est pas un journal intime avec des fleurs et des petits cœurs;
Tu fais un certain nombre de références au Maroc, ton bled d’origine. Est-ce que tu arrives à suivre ce qui se fait là bas? Et est-ce que tu as des connexions et comptes- tu y faire des choses ?
Déjà avant que je puisse sortir «Oedème», j’étais déjà en connexion avec Shay qui est un MC qui voyage entre Rabat et Bruxelles. C’est devenu un ami au fil du temps. C’est un activiste, il est très très fort lyricalement. Personnellement, ça ne m’a pas choqué de voir quelqu’un qui vient du Maroc et qui kicke chant-mé. Le mec kicke sale, je voulais le faire poser sur œdème mais malheureusement ça n’a pas pu se faire.
Et si j’ais un projet qui arrive par la suite, c’est déjà de faire une scène au Maroc, obligé, avec mon équipe. Et aussi faire des projets avec des marocains, avec des MCs de là bas. Shay m’en a dit du bien et moi personnellement je n’ai pas eu le temps de me mettre en connexion avec ces gens là….Il y a celui qui chante avec le Wu Tang… Cilvaringz. c’est un MC du Maroc, il a été repéré par le Wu Tang, direct, ils l’ont alpagué. Je ne pense pas que dans le HipHop, il y a des frontières. En Australie, il y a des gars comme M-Phazes qui fait des productions de ouf…
« J’ai grandi dans le calme de l’Islam, la France est un club d’échangisme pour les hommes et les femmes ». Est-ce plus la curiosité ou plutôt les tentations fortes qui font que les jeunes traînent et prennent goût à traîner ?
C’est les deux ! C’est la curiosité qui fait que cela devient une tentation. C’est comme ce que je dis dans «Disque de marbre». Nos parents ne veulent pas qu’on fasse les choses mal. Depuis qu’on est enfant, ils nous disent « ne fais pas ci, ne fais pas ça, ne touchez pas à ceci, à cela» mais comment veux-tu qu’on ne touche pas, et moi je le compare toujours comme si tu étais à la piscine et qu’on te dit ‘il ne faut pas que tu sautes dans le bain’ alors que toi tu es en maillot de bain. C’est obligé qu’à un moment donné tu aies envie de faire un putain de plongeon. Et c’est pour cela que certaines personnes tombent dans l’illicite ou d’autres choses « pas bien ».
On nous interdit de faire des choses mais en même temps c’est un club d’échangisme. Tu ne peux pas ne pas toucher. C’est comme si tu rentrais dans un magasin de chocolats et toi à la base tu kiffes le chocolat. C’est obligé d’être tenté, c’est la tentation pure. Et la France, ce n’est pas le pays le plus adéquat.
Durant tout l’album il y a toujours ce désir de s’évader, s’échapper de sa condition, comme sur « Je prends le large » avec Kooros…
C’est exactement ça, on est citoyen nulle part en fait, que l’on soit en France, au Maroc ou dans son bled. On n’a pas vraiment d’identité. En même temps, c’est un putain d’avantage et un putain d’inconvénient. En France, on dit que tu es un arabe et quand tu es au Maroc, on dit que tu es un français, un vacancier, donc quelque part tu es un citoyen de nulle part.
[Dunkerque est une ville mise à l’écart sur la carte du HipHop et même dans le Nord, il y a pas mal de projets qui se font sans les dunkerquois parce qu’il n’y a pas de connexion. C’est un autre paysage, l’air est plus frais, il y a la mer, les ports. Est-ce que cela se traduit dans ta musique ?
Dans ma musique, non mais par contre dans les projets qui vont arriver comme les albums de Veerus ou de Kooros, on montrera peut-être un côté beaucoup plus sombre, moins Soul, plus personnel même au niveau des instrus. Ca va être peut-être plus glacial, plus froid. Nous, OGII’Z, on ne se considère pas que comme des MCs. Ce n’est pas non plus un game. Il faut que chacun ait son armée. Nous, nous venons du Nord, nous sommes des vikings en fait.]
Qu’est-ce que la musique t’apporte au quotidien ?
Un équilibre, on va dire. Ca n’apporte que ça, quand des fois tu n’es pas bien, tu as envie de faire du son et des fois quand tu es super bien, tu as envie de faire du son. C’est ce qui fait que c’est une poutre comme à la gym, tu es bien, tu es stable. Moi, on m’enlève la poutre, on m’enlève le son, je ne suis plus bien. Je ne peux plus rien faire. Pour moi la musique, c’est un putain d’équilibre qui fait que cela me permet d’aller là où je veux.
La musique, ça se partage, comme le micro. Comment s’est opéré le choix de tes invités ?
Ca s’est fait naturellement dans le sens ou ce sont des gens qui sont avec moi H24, des gens que je connais depuis l’enfance donc c’était « plus que légitime » de faire des choses avec eux. Maintenant, c’est le premier projet donc j’ai fait ça avec des gens de mon entourage, pour les prochains projets, on verra plus tard…
Peux-tu nous parler justement d’OGII’s records et de ce qui se prépare de votre côté ?
OGII’s records est composé de moi, le principal beatmaker, Veerus, le « petit protégé », la balle makarof. Ensuite il y a Kooros la brute, 187 et DJ advance, notre DJ. Ensuite, il y a des gens qui gravitent autour de nous que ce soit dans l’infographie ou dans le rap comme Cannibal, Artphobie, quartier graffik qui s’occupe de l’infographie. Il y a aussi les chanteuses Aida et Leila night. Pour ce qui est des projets, j’ai vraiment envie de me concentrer sur la scène pour pouvoir présenter quelque chose de correct aux gens, faire une quinzaine de scènes dans l’année et pouvoir présenter Oedème différemment. En parallèle à cela, c’est sûr qu’il y a des projets qui vont arriver, je pense à l’album de Veerus pour peut-être la rentrée prochaine….Quoiqu’il en soit on bosse toujours, on ne lâche pas l’affaire…..