L’auteur de “flashback”, livre sur l’histoire de la danse HipHop en Belgique, apporte un éclairage sur la genèse de son projet mais aussi sur ses motivations.
Qui es-tu ?
Didier, 42 ans, journaliste free-lance, depuis 1989… Je collabore actuellement avec plusieurs magazines, le journal « Le Soir », je fais un tout petit peu de radio (RTBF)… essentiellement dans le domaine culturel (cinéma et musique). Je suis Belge (une fois). J’ai une compagne formidable (Sylvie), un chien qui couine (si, ça existe). Enfin, je suis mordu par des tas de virus : écriture, musique, entre autres. J’arrête là ?
Tu es l’auteur de « Flashback », une oeuvre de 144 pages sur l’histoire de la danse HipHop en Belgique ; combien de temps d’investigation pour l’aboutissement de ce livre ?
L’idée a été lancée début août 2007 et mes premières interviews ont été réalisées un mois plus tard, ce qui m’a laissé une trentaine de jours pour les recherches purement « historiques » (James Brown, le développement de la conscience afro-américaine, etc). Les interviews ont ensuite été complétées de septembre à octobre, ma « deadline » étant fixée au 10 octobre. Il s’agit donc d’un boulot intensif réalisé sur un laps de temps très court et qui m’a coûté quelques nuits de sommeil… Mais j’ai aussi été épaulé : par mes interlocuteurs (Kubilay, Samir, Fourmi…) qui sont des mines d’information, Catherine de Lezarts Urbains qui est partie à Namur réaliser l’interview de NBS, et ma compagne qui a retranscrit tous ces entretiens à partir desquels les textes ont été écrits. Cela dit, le bouquin est aussi basé sur un spectacle documentaire (à voir, ultra recommandé) ; je ne suis pas non plus parti totalement dans l’inconnu.
Est-ce que cela demande une organisation particulière pour la réalisation, notamment dans la recherche, celle des témoignages, les contacts, les archives à retrouver ?
Vu le laps de temps très court, il y avait effectivement intérêt à être bien organisé. Le bouquin a d’abord fait l’objet d’un chapitrage précis, chaque chapitre portant sur un thème donné, et chaque thème étant illustré par des interviews. Comme je viens de l’expliquer, je n’étais pas tout à fait seul. En outre, Lezarts Urbains, qui co-édite ce livre, a monté un centre de documentation qui est tombé bien à point. Ce qui a été plus compliqué, c’est la recherche photographique, dans la mesure où il n’existe pas énormément de visuel illustrant les débuts de la danse HipHop en Belgique. Enfin, les témoins que je souhaitais rencontrer étaient à l’origine plus nombreux que ceux figurant au final dans le livre. Si je n’ai pas pu les voir, c’est tout simplement pour une question de temps ou de facilité d’accès (certains n’habitant plus en Belgique ou s’étant retirés du milieu). Pour corriger le tir, il faudrait imaginer un volume 2. Qui sait…
Qu’est ce qui est le plus délicat et le moins évident dans cette investigation afin d’être le plus précis, objectif et crédible possible ?
Mon principal souci a été de rester accessible et crédible. Je ne voulais pas que ce bouquin ne soit destiné qu’aux spécialistes ou aux danseurs. Je voulais aussi qu’il soit suffisamment documenté que pour être vrai. D’où l’utilité d’avoir de bons interlocuteurs, des gens passionnés. Ce qui a heureusement été le cas. Ensuite, je me suis surtout attaché à ne pas déformer leur propos. L’objectivité, c’est toujours un exercice délicat. C’est pour cette raison que le livre a été sous-titré « Histoire(s) de la danse HipHop en Belgique » : il raconte une histoire de fond, elle-même illustrée par des histoires spécifiques qui relatent aussi du « ressenti » ou des souvenirs particuliers plus ou moins précis selon qu’ils remontent plus ou moins loin dans le temps. Je dirais que ce livre, c’est de l’objectif avec un peu de subjectif dedans. C’est inévitable, ce n’est pas une science exacte.
Qu’est-ce qui t’a donné envie de te lancer dans un tel projet ?
Des motivations, j’en vois plusieurs. J’aime raconter. Les gens passionnés m’inspirent. Quand j’écris un article, je me sens parfois limité par la longueur imposée ; un bouquin, ça laisse forcément plus de place. C’est un sujet qui touchait aussi à la musique, d’une certaine manière. J’ai toujours préféré les cultures urbaines aux choses plus policées. Voilà… je pourrais continuer l’énumération pendant un moment…
Considères-tu « Flashback » comme un travail de journaliste tout simplement passionné par le métier ou comme un travail de passionné de la culture surtout ?
Je dirais que c’est le travail d’un type curieux, passionné de culture, réalisé avec l’expérience de journaliste que j’ai pu acquérir au fil des années.
Aujourd’hui le HipHop a plus de 30 ans et pourtant il n’y a pas encore assez d’ouvrages (de qualité) lui rendant ses lettres de noblesse, ni à ses disciplines… A ton avis, est-ce dû à un manque de considération ? Un manque d’initiatives ?
C’est vrai qu’il n’y a pas encore assez d’ouvrages. Ce qu’on trouve surtout, ce sont des bouquins traitant du HipHop sous l’angle strictement sociologique. Je ne dis pas que ce n’est pas intéressant, mais ça passionne un public tout de suite beaucoup plus réduit. Donc, il faudra patienter. En même temps, ça laisse de la place à quelques « bibles », qu’on est forcé de remarquer, comme le « Can’t stop won’t stop » de Jeff Chang et Kool Herc. Ceci dit, il existe déjà des documentaires fort intéressants, ce qui n’est pas plus mal quand il s’agit d’arts aussi (audio)visuels que ceux du HipHop. Quant à la considération, elle vient, mais très lentement. C’est toujours le cas lorsqu’une culture émerge en opposition avec quelque chose d’établi. Pour prendre un exemple tout à fait au hasard, le hard rock existe depuis des lunes, mais il a fallu attendre 30 ans pour qu’un type écrive une sorte d’histoire définitive sur le sujet. Peut-être est-ce aussi le temps qu’il faut pour décanter les choses, séparer ce qui relève de la mode et ce qui relève de la culture…
Le livre commence par retracer les sources de ce courant artistique, évoque les origines du hip hop (par rapport à cette discipline)… Y a-t-il assez d’informations, d’événements en Belgique pour que les nouvelles générations s’intéressent et s‘investissent davantage dans cette culture ?
Je crois qu’il n’y aura jamais assez d’initiatives lancées pour expliquer ce qu’est vraiment cette culture. On vit dans un monde où l’image est toute puissante. Je pense par exemple à la télé, à son pouvoir et à l’image, justement, qu’elle donne du HipHop. S’y intéresser vraiment suppose de dépasser les clichés, se plonger dans les origines, ne pas se contenter de produits prêts à consommer. Bref, c’est un effort à faire. Ce qui veut dire aussi à quel point chaque événement organisé doit être mis en valeur et apprécié. Et en Belgique, il en existe quelques-uns, comme le festival annuel organisé par Lezarts Urbains, ou les battles que met sur pied la Zulu Nation.
C’est un livre composé de 6 parties, la première est comme une sorte d’introduction, ensuite c’est le développement, et la dernière partie est une sorte de conclusion avec plein d’interrogations… Peut–on le voir ainsi ? Le hip hop a-t-il ou aura-t-il une histoire sans fin ?
On peut le voir comme ça. En tout cas, c’est exactement comme ça qu’il a été conçu, ça me semblait logique. Je ne vois pas pourquoi le HipHop aurait une fin. Au pire, je vois des cycles, des périodes plus intenses que d’autres, plus de créativité à certains moments, moins à d’autres. Il en va ainsi pour toutes les formes d’art, non ?
En ce qui me concerne, c’est une oeuvre qui transpire la passion, le désir aussi d’en savoir plus, le tout dans une bonne ambiance. Il y a comme une transmission de la passion à chaque intervenant, à chaque témoignage… Est-ce écrit volontairement dans cette intention ?
Merci, c’est exactement ça ! Et comme je le disais plus haut, j’aime les gens passionnés par ce qu’ils font, et j’aime essayer de transmettre ou de faire ressentir cette passion. Evidemment, c’est plus facile quand le sujet m’attire. Je ne suis pas sûr de pouvoir parler de l’influence des marées lunaires sur la culture du cornichon en basse Picardie. Par exemple…
Y a-t-il des passages qu’il te tenait plus à cœur d’explorer ?
Pas spécialement, j’ai surtout essayé d’être le plus complet possible. Ceci dit, certains thèmes m’intriguaient un peu plus que d’autres. Comme par exemple l’intérêt que des chorégraphes contemporains ressentent pour la danse HipHop. Non qu’un chorégraphe contemporain soit « la » référence, mais ça prouve à mes yeux que la danse HipHop est un art à part entière et digne de considération.
Quels sont les moments forts dans l’histoire de la danse HipHop en Belgique, en ce qui te concerne ?
Les années 80, les débuts, parce que c’était neuf, différent, et qu’il y avait là quelque chose de fascinant. Je précise tout de suite que je n’ai jamais dansé… Mais ce bouillonnement était attirant. En plus, l’information n’était pas à portée de main comme aujourd’hui avec Internet… pour reprendre les propos de Kubilay. Tout ça ne veut pas dire que ce qui suit ces débuts n’est pas intéressant, bien sûr.
Penses-tu que cette discipline du HipHop a connu son âge d’or (d’après les témoignages) ?
J’ai envie de répondre « oui et non ». « Oui » si on considère que l’âge d’or, c’est l’époque des premiers vrais danseurs américains, style Rock Steady Crew et autres. Ce qui vient après, c’est une évolution… On peut répondre « non » aussi, quand on voit que les centres névralgiques se déplacent. Il y a d’abord eu les Etats-Unis jusqu’à la fin des années 70. L’explosion en France et en Belgique au début des années 80, avec une émission novatrice comme « H.I.P.H.O.P. » et de formidables danseurs. Dans les années 90, on a vu apparaître d’autres grands danseurs dans quelques pays européens, comme les Dynamics en Belgique. Et ces dernières années, quand on voit ce que les Japonais ou les Coréens font dans ce domaine, les chorégraphies qu’ils proposent… Allez sur YouTube et cherchez Hilti & Bosch ou les freezes d’extraterrestre d’un Hong 10 : tuant ! Bref, ça fait pas mal d’âges d’or… Par contre, je suis sûr d’une chose : comme cette discipline du HipHop est bien moins médiatisée que le rap, elle est aussi moins figée dans des modèles, et donc plus en évolution constante. Ça, c’est excitant.
A quoi te fait penser cette phrase : « conçu pour durer » ?
A un texte qui parlerait d’amour et de passion, plutôt qu’à une gamme de t-shirts. J’ai bon, là ?