Double Zulu est un rappeur originaire de Melun en Ile de France. Il a sorti, en novembre 2020, « Ladder match » un EP entièrement produit par Just Music Beats qu’il considère comme « le meilleur projet » qu’il est pu sortir jusqu’à présent. Il s’en explique dans cet entretien avec la Voix du HipHop, et nous en dit, un peu plus sur lui, son rap et ses projets.
« Je suis jamais parti, mais je sors de nulle part » (Randy Orton). Justement, tu sors d’où ? Tu viens d’où ? Quel est ton parcours dans le rap ? Mis à part le fait que nous savons que tu es congolais (ne serait-ce que pour un titre comme Chikwang et exeter), à travers ce projet, si l’on t’écoute pour la première fois, ce n’est pas évident de savoir. Y-a-t-il une raison, un choix volontaire de ta part, par rapport à ça ?
Je suis Double Zulu. J’ai 29 ans. Je suis né et j’ai grandi à Melun en Seine-et-Marne. J’ai commencé le rap à 13 ans. J’écrivais mes premiers textes dans ma chambre, et de fil en aiguille j’ai fait la rencontre d’un gars dans mon quartier qui rappait aussi, on a formé un groupe, mais tout ce qu’on a sorti se limitait à Skyblog et nos téléphones à l’époque.
Ce n’est pas vraiment un choix, disons que je suis de nature assez discrète. J’ai mis un long moment avant d’assumer le fait de rapper, c’était un truc que je partageais peu donc je ne représente pas un quartier, une ville.
Tu as sorti ton premier projet en 2012, sous le nom de J-Welzz. 9 ans après, quel regard portes-tu sur le rappeur que tu étais à cette période et quel regard portes-tu sur l’évolution du rap en France depuis ?
Yes, RSP (Rap Sans Paramètres) sort en 2012. Premier projet, ma carte d’identité dans le rap jeu, 20 titres dans lesquels je dévoile toute ma palette technique. Et presque 10 ans plus tard, je me rends compte de l’évolution. Le fond reste plus ou moins similaire, mais j’ai gagné en technique, en lyrics, et en maturité. Je suis content de ne pas avoir stagné sinon ça voudrait dire que je suis nul !
Aujourd’hui le paysage du rap français est vaste, il y a à boire et à manger pour tous les auditeurs. On n’est pas cantonné à un seul style particulier.
Tu as sorti deux tapes, DBZ1 en 2019 et DBZ2 en 2020. Qu’est-ce que tu retires de ces deux projets, en termes d’expérience et de développement artistique mais aussi en termes de business ?
DBZ premier du nom, je l’ai sorti quasiment tout seul. Je me suis occupé de ma propre direction artistique, et avec du recul je me suis dit que si j’avais fait appel à une aide extérieure, j’aurais pu faire mieux. Je sortais d’une longue période de disette, j’avais envie d’arrêter le rap, mais je m’y suis remis et j’avais juste envie de montrer aux gens que 7 ans après RSP j’étais toujours présent. C’est comme le vélo, quand tu sais en faire tu sais en faire toute ta vie.
Sur DBZ 2, j’ai fait appel à une équipe extérieure, le +33 (Baek, Landi & Steinberg) qui m’ont accompagné à distance, et on sent tout de suite la différence entre les deux projets. Je me dis toujours qu’entre deux projets je dois évoluer quelque soit la manière, et j’ai réussi pour le coup. J’ai également gagné en exposition, aujourd’hui je suis sollicité par plus de beatmakers pour collaborer, c’est une victoire.
Que représente ce projet « Ladder match », pour toi ? Qu’en attends-tu ?
C’est aujourd’hui le meilleur projet que j’ai pu sortir jusqu’à présent. Il y a une direction artistique menée de A à Z, je me pavane sur les prods de Just Music Beats, c’est différent de ce qui est proposé dans le rap français. Je suis fier de ce projet, fier de collaborer avec JMB.
Tu as travaillé avec JustMusicBeats sur ce projet « Ladder match », mais tu as déjà travaillé avec eux auparavant. Qu’est-ce que tu apprécies particulièrement chez eux et qu’est-ce que tu attends d’eux en termes de sonorité et de vibes?
J’ai bossé avec eux sur DBZ & DBZ 2. Ils ont produit « Ascenseur » sur DBZ, « Intro » & « Trinity ». Je les trouve tout simplement trop forts en vrai. Le choix des samples, la façon dont ils traitent la rythmique, c’est de la folie pure, et c’est ce que j’aime, c’est là où je me sens le plus à l’aise. Et on est tous les deux des fans de catch !
J’ai mis un long moment avant d’assumer le fait de rapper, c’était un truc que je partageais peu.
Comment s’est faite la collaboration sur ce projet de 7 titres ? Vous étiez en studio ensemble ? Cela s’est fait par échange d’emails ? Comment s’est fait le choix des prods ?
En fait avant et après DBZ 2, on avait enregistré plusieurs morceaux ensemble. Et pendant ma pause, Buddahkriss me contacte en me disant « t’as fini de chialer, on peut faire du rap ? » et il me propose de sortir un projet commun, que j’accepte immédiatement. On a déjà des tracks de côté, on en rajoute 2-3 pour faire un projet 7 titres et ça donne Ladder Match.
On a bossé sur une prod ensemble seulement quand j’étais à Marseille en 2019, sinon tout se fait à distance. Ils ont une confiance aveugle en moi et c’est réciproque. Je chipote rarement sur les prods qu’ils m’envoient. Même quand je le sens pas à la première écoute, c’est un défi pour moi de kicker dessus et de donner le meilleur de moi-même. Justement parce que la confiance est mutuelle, c’est plus que de la musique. On s’apprécie beaucoup hors-rap, du coup c’est plus facile de bosser.
Le format court du EP semble avoir trouvé une nouvelle vie dans le rap. Pourquoi, dans ton cas, tu as fait le choix d’un 7 titres ?
Parce que le 7 est mon chiffre porte-bonheur, et parce que je trouve le format hyper concis sur un projet avec une thématique particulière, le catch en ce qui concerne Ladder Match. Je pense que ça aurait été redondant d’avoir 12-13 tracks avec des interludes de catch, ça nous aurait plus desservi qu’autre chose. Et il y a moins de déchets aussi sur un format EP.
Pour les rookies, c’est plus simple en guise de carte d’identité. Tu concentres ton propos sur 25-30 minutes, tu vas droit au but et l’affaire est réglée. Pas le temps de niaiser !
« Il y a ceux qui pe-ra pour le kif, il y a ceux qui pe-ra pour le biff, je fais partie de ceux qui mettent des claques, parce que j’écris des hiero-giffles » (Le choix des armes, de CHAM) mais aussi « Pas besoin de la gloire si j’ai la rançon » (Rêves et cauchemars) : Pourquoi tu rappes exactement ? Et aujourd’hui, à quoi ressemblerait la gloire d’un rappeur pour toi ? Et la rançon, sans la gloire, ce serait quoi pour toi ?
Quand j’ai commencé la musique, c’était juste une autre manière de mettre en avant ma passion. Mon père et mes frères m’ont transmis cette passion, et le fait de prendre un stylo et d’écrire sur une feuille, c’était histoire de pousser le délire. Au tout début je n’avais rien à raconter en vrai, j’étais jeune et timide donc c’était de l’égotrip bête et simple. Et avec le temps j’ai trouvé des choses à dire, aussi grâce à ce que j’écoutais qui m’a donné de l’inspiration.
Je pense qu’aujourd’hui la gloire pour un rappeur c’est de pouvoir vivre de sa passion. Tu te lèves le matin ton job, c’est d’aller en studio, faire des clips, des concerts et à la fin du mois t’as ton salaire. Je pense que n’importe quel rappeur voudrait cette vie-là, à des échelles différentes je pense, mais je, on, aspire à ça. Sinon on continue de rapper dans nos chambres et on envoie nos sons à nos potes comme à l’ancienne. Surtout qu’aujourd’hui, le paysage du rap est tellement vaste que t’as forcément des auditeurs qui peuvent s’identifier à toi.
La rançon sans la gloire, c’est l’argent sans la notoriété. C’est surement ce qu’il y a de mieux pour un être humain, parce qu’on n’est pas naturellement conditionné à avoir de la notoriété, et selon les gens tu peux bien et/ou mal le vivre.
« C’est plus du peu-ra, c’est de la couture/ Travail de sape de fil en aiguilles » (rêves et cauchemars): Il est clair que pour toi, les lyrics comptent. Comment travailles-tu tes textes et tes punchlines, est-ce que tu es quelqu’un qui écrit en permanence ? Qu’est-ce que tu souhaites que les auditeurs retiennent de tes morceaux ?
Il n’y a pas de vrai travail particulier, je ne traite pas ma musique comme un exercice de maths. J’essaie de ne pas forcer mon écriture, sinon ça se ressent direct. Mon cerveau s’est naturellement conditionné à faire un travail d’analyse quand j’entends des mots, des phrases. Ca découpe le mot, ça cherche la rime riche, le synonyme, l’antonyme, une référence film/série, et ça part. Mais je fonctionne comme ça depuis tellement longtemps que c’est devenu naturel. Par exemple tout à l’heure, j’écoutais un son de rumba congolaise, je me suis rappelé d’un ami de l’artiste en question, et j’ai commencé un texte.
Avant quand j’écrivais, je me disais qu’il fallait que l’auditeur pète sa tête sur telle ou telle phase, et souvent il pétait sa tête sur une autre phase que je trouvais moins percutante ! Je faisais du rap pour les rappeurs, c’était de la technique pour de la technique. Aujourd’hui je peux raconter quelque chose avec une cohérence et y mettre de la technique, c’est beaucoup mieux. Aujourd’hui quand un auditeur m’écoute, il doit retenir que je suis un passionné de musique. Ça doit se ressentir dans mon texte, sinon je n’ai pas atteint mon objectif principal. Mais s’il prend du plaisir à m’écouter sans sentir que je suis un passionné, ça me va aussi !
je ne traite pas ma musique comme un exercice de maths. J’essaie de ne pas forcer mon écriture, sinon ça se ressent direct.
Comment vis-tu cette période du cycle (aussi bien artistiquement que socialement), la crise du Covid, les séries de confinement, ce que ceux-ci engendrent et vont engendrer, la confiscation de nos libertés. Qu’est-ce que tout cela t’inspire, est-ce que cela affecte ton art, ton rap, ton quotidien ? Peux-tu nous en dire un peu Plus…
La covid-19, les confinements ont mis un coup à ma santé mentale, j’en avais fait un post sur les réseaux d’ailleurs pour l’expliquer et prendre une pause. Artistiquement ça a eu un impact sur mon écriture, je suis rentré dans un mood introspectif sur des morceaux, et au quotidien et bien je suis solo entre 4 murs avec mon ordi mon micro et mon casque. Ça me permet de faire de la musique à la maison, retravailler des tracks, ça fait du bien, et puis après j’arrête, besoin de faire/penser à autre chose que le rap. On a envie de faire des concerts, revoir de la foule, des pogos, ça nous manque de ouf ! J’ai hâte de défendre Ladder Match & DBZ 2 sur scène, plus d’autres choses, j’espère qu’il ne sera pas trop tard.
Perso, Ron Brice et Cham (12 monkeys) sont en featuring sur «Ladder Match ». Pourquoi eux précisément ? Qu’est-ce que tu apprécies chez chacun d’eux ?
Alors Cham c’est un des mecs les plus sous-côtés du rap français. Il a ce truc qui te donne envie d’avoir du drip, d’être frais, un peu comme Rick Ross. Il a un truc spécial. Et après qu’il m’ait invité sur son projet, je me devais de faire pareil. Les gens ne savent pas encore à quel point il est chaud mais tôt ou tard ils le sauront.
Ron Brice c’est un mec que j’écoute depuis longtemps et que je kiffe, c’est un OG, un hustler comme on en fait plus. Perso et lui se sont retrouvés sur Ladder Match suite à un track qu’on a fait à 3 « Triple Threat », qui était sorti quelques mois avant sur la chaine Youtube de Just Music Beats. Ils voulaient nous associer tous les 3 sur un même morceau, puis on s’est dit qu’on allait le mettre sur le projet.
Perso c’est top 10 rap français pour moi. Il est technique, des références à envoyer un psychothérapeute en HP ! C’est une fierté pour moi de l’avoir sur un projet, et surtout il m’a validé. On n’est pas du tout de la même génération mais on a une passion commune, ça se ressent tout de suite. On a un autre track dans les tuyaux ensemble, c’est la folie totale. J’ai hâte qu’il sorte !
Aujourd’hui quand un projet sort, il est immédiatement accompagné de titres clippés, ce n’est pas ton cas avec « ladder match ». Pourquoi ?
CON-FINE-MENT ! Avec cette histoire de confinement ça a été difficile de pouvoir clipper. J’étais dégouté mais ce n’est que partie remise, les prochains projets auront des singles, je ferai tout pour.
Aujourd’hui quand un auditeur m’écoute, il doit retenir que je suis un passionné de musique. Ça doit se ressentir dans mon texte, sinon je n’ai pas atteint mon objectif principal.
Aux USA, le catch est assez apprécié et courant chez les artistes, de AG (Andre the Giant) de Showbiz & AG à Westside Gunn et ses références permanentes à ça. En France, beaucoup moins, sans doute, parce que le catch est plus invisible et ne passe plus dans les medias depuis les années 1990. Pourquoi cette référence au catch avec la couverture de « Ladder match » ? Et si tu es un passionné de catch, qu’est-ce qui te plait dans ce sport ou divertissement, et est-ce que tu y vois des parallèles avec le rap ?
Avec JMB, il fallait qu’on trouve une direction artistique, un fil conducteur pour le projet. Pas juste envoyer 7 titres comme ça pour dire « hey on a sorti un projet en commun ». On partage cette passion commune qu’est le catch, on s’est dit qu’on allait jouer sur ça, puis ce n’est pas commun.
Depuis qu’on sait que le catch c’est du fake en France on n’en parle plus trop. Ça ne fait pas vraiment partie de notre culture, alors qu’aux USA c’est la folie totale. Les Pay-per-view sont toujours blindés, c’est du divertissement. C’est comme aller voir un spectacle. Tu paies ta place tu rigoles tu passes un bon moment.
Je ne fais pas vraiment de parallèles entre le catch et le rap, mais les deux entités s’aiment en tout cas. Des rappeurs invités à des shows, des références dans les tracks, ça change des références habituelles qu’on a en France sur le foot, le basket, les drug dealers etc. On ramène rien de nouveau parce qu’aux USA c’est monnaie courante mais une différence.
Il y a apparemment une forte présence et visibilité d’artistes congolais dans le rap en France aujourd’hui, il y a –t-il une explication particulière à cela, pour toi ? Est-ce qu’il y a une certaine « fraternité », même si le rap reste la compétition, entre vous, et plus généralement, quelles relations tu as avec les rappeurs congolais de manière spécifique ?
Parce qu’on a la musique dans le sang, tout simplement. Ce que j’admire chez le peuple congolais, c’est que tu peux être dans la merde la plus totale, il y a toujours un moment dans ta journée où t’as envie de chanter, danser. C’est dans notre ADN, c’est notre façon de sortir d’un quotidien morose. Moi, je chante plus que je rappe quand je suis tout seul, et je suis sûr que je ne suis pas le seul rappeur congolais à faire ça !
Ouais la fraternité existe malgré la compétition, il y a eu moult collaborations congo-congolaises, des posse cuts, du lingala éparpillé dans les textes, je kiffe ça. Moi-même j’essaie de mettre de plus en plus de lingala dans mes textes, j’ai la chance de la comprendre alors j’en profite.
Tu as multiplié les collaborations avec les artistes du label 12 Monkeys records. Est-ce qu’il y a un projet à avenir avec eux, et plus généralement, quels sont tes projets artistiques en cours ou à venir ?
Le temps nous le dira, pour l’instant il n’y’a rien de concret. Mais on s’apprécie autant humainement que musicalement, donc on continuera de collaborer ensemble.
Et me concernant, on repart sur un EP avec Just Music Beats !
Tu as dit dans un tweet du 4 août 2020 que tu as toujours la sensation que le rap était quelque chose qui te faisait autant de bien que de mal. Quel est le bien qu’il te fait, quel est le mal qu’il te fait ? Et quelle est ta recette pour trouver l’équilibre qui te permet de continuer le rap aujourd’hui ?
Je traite le rap comme un exutoire. Quand je ne suis pas au top de ma forme c’est plus simple pour moi de rapper. Quand tout va bien, j’ai moins envie d’en faire. Et le fait de ne pas pouvoir défendre correctement ma musique suite au confinement m’a mis encore plus mal, donc j’ai décidé de faire une pause pour ne pas aggraver ma santé mentale.
Aujourd’hui, je prône la patience. J’essaie de ne pas trop me presser, si mes sons doivent sortir ils sortiront, en temps et en heure. Faut juste que les étoiles soient alignées et ça le fera.