CapNord est un livre qui retrace 20 ans (1986-2006) de graffiti dans la métropole Lilloise et la région Nord Pas de calais. La Voix du HipHop s’est entretenu avec les auteurs de cet ouvrage sur l’histoire passé et présente du graffiti. Regards croisés.
Qui sont les protagonistes de ce livre ?
La Yeah Produzione : Nous sommes trois, Top Gun qui est le concepteur et rédacteur. Moi, La Yeah! Produzione, je m’occupe de tout ce qui est en rapport avec le graphisme. Et il manque celui qui a eu l’idée de faire le livre, Mikostic. C’est lui qui a eu le culot de contacter les éditions alternatives. Il les appelait puis m’a contacté en premier en me demandant si j’étais ok pour m’occuper de la mise en page du bouquin et de là j’ai appelé mon pote qui connaissait plus de choses que moi, sur le mouvement HipHop.
Sinon, pour le parcours, en ce qui me concerne, j’ai commencé les graffitis vers 14-15 ans et suite à cela je suis rentré dans une école d’art. Puisque j’aimais bien le dessin, je me suis lancé là dedans. Depuis les Beaux-Arts, j’ai fait X métiers et là depuis, je suis à mon compte en tant que graphiste indépendant.
Top Gun :Vers 15-16 ans, je graffais et j’y suis donc tombé dedans illico et depuis je n’ai pas lâché, sinon dans la vie j’essaie d’être journaliste, ce qui n’est pas une chose facile.
Le livre contient plus de 200 pages sur le graff avec un important travail d’investigation. Comment s’est faite la réalisation du livre ?
LYP : Juin 2005, on a contacté les maisons d’éditions. Puis au premier abord, cela a été le gros chemin de fer. On s’est demandé qui on allait mettre dedans, dans quel ordre… et après on a dû rechercher la matière : les personnes, les photos, etc. Au final, on a rendu le boulot en septembre-octobre 2006, donc ça représente presque un an et demi de boulot.
Qu’est-ce qui vous a poussé à matérialiser ce projet ?
LYP : Pour moi, c’était plus un exercice graphique, puisqu’on m’a contacté pour faire le graphisme. Et après bien sûr, j’étais ok pour m’investir là dedans, notamment pour la recherche d’images, la matière, tous les graffs qui ont été faits depuis 20 ans. Donc tout cela représentait une contrainte graphique, mais j’avais en gros 200 pages pour me lâcher.
TG : Pour ma part, ma motivation première était d’apporter la vérité, qui je pense n’aurait pas été apporté par d’autres s’ils l’avaient fait. Parce que je pense que, sans vouloir critiquer les autres personnes, ça aurait été réalisé de manière plus commerciale et avec moins d’objectivité peut-être. Et puis, c’était l’occasion de participer à l’évolution du bouquin sur le Nord, vu qu’il y avait déjà d’autres bouquins de ce genre déjà édités dans d’autres régions.
Le livre est divisé en 3 grandes parties, comment s’est faite la répartition des tâches au niveau des photos, des contacts?
TG : On a tous bougé nos contacts. L s’est chargé de la partie dunkerquoise, moi je me suis centré sur Lille, j’ai essayé de contacter pas mal d’anciens, notamment les TSA, les TSV. Il y a eu aussi pas mal de bouche à oreille. Des gens nous ont contacté d’eux–mêmes, il y a eu aussi des personnes que l’on a croisées par hasard.
LYP : Pour les contemporains, c’était sur le bouche à oreille et les forums sur un internet.
Pensez-vous que le nord a connu son âge d’or dans le mouvement du graffiti ou pas encore ?
LYP : Il y a eu un âge d’or mais pas à tous les niveaux. Il y en a eu un gros : Tags et vandalismes. Mais au niveau des fresques couleurs, il n’y en a pas eu. Je ne suis pas optimiste, je n’attends pas qu’il y ait de nouvel âge d’or.
TG : Je ne pense pas que ce soit une question d’âge d’or ou d’optimisme. C’est vrai qu’il y a eu une grosse époque, mais c’était un âge d’or dans le sens que c’était connoté avec toutes les disciplines de la culture HipHop. Forcément, tu regardes cela avec les yeux du fan, donc c’est un âge d’or, mais je pense que l’âge d’or est là tout le temps avec des cycles. C’est à nous de le faire revire à chaque fois, chaque année doit être en or. C’est ça aussi le HipHop, il ne faut pas se dire que le mieux a été fait, le mieux reste à faire.
Que pensez-vous de l’évolution du graff et du fait que le HipHop soit rentré dans les institutions ?
TG : Pour prendre l’exemple de Sleek, qui était le prototype du B-boy, il faisait de la danse, du DJing, il a tout fait excepté, rapper à ma connaissance, à l’époque c’était ça, quand tu étais dans le graff, tu étais dans tout à la fois dans le mouvement HipHop. Aujourd’hui, c’est tellement scindé, ce n’est plus la même chose. C’est un peu ce que dit Kool Shen dans Writers, les tagueurs sont ceux qui sont restés à la limite plus fans des autres disciplines parce que j’ai jamais entendu un danseur parler de graff ou des DJs. Les tagueurs sont en général toujours là aux concerts et sont aptes à parler de toutes les autres disciplines parce que c’est eux qui restent encore le plus HipHop en tout cas dans la définition des 4 éléments du B-boy.
LYP : Pour moi, ça ne me dérange pas qu’il y ait des graffeurs qui n’ont rien à voir avec le mouvement HipHop. Un hard rocker qui graffe peut faire quelque chose d’intéressant en ramenant sa touche perso et son univers.
Est-ce que le graffeur type est resté autodidacte ou est-ce qu’il est plus suiviste-attentiste parce que maintenant il y a davantage de règles à respecter qu’auparavant où c’était sans convention ?
TG : Maintenant, il y a beaucoup d’outils mis à disposition plus facilement. Il y a un nombre d’influences qui est exponentiel de part la multiplication des sites internet, des magazines. On voit du graff partout alors qu’à l’époque pour se procurer un magazine, c’était la croix et la bannière. Donc c’est plus simple et plus compliqué à la fois. Plus simple parce que cela a déjà été fait, donc les mecs sont déjà rodés et savent ce qu’il faut faire. Mais plus compliqué parce qu’il y a plus de répression.
LYP : Ca change la motivation… le fait d’aller peindre. Moi, je n’ai aucune idée de ce que pense et cherche le petit jeune en allant peindre. Pour moi le graff, c’est mon espace de liberté dans ce monde de merde, je suis à ma place. Les motivations ont changé par l’effet de mode parce que certains au bout de 3, 4 mois disparaissent comme une mode. Ceux qui perdurent ont un esprit plus vandale mais peut-être moins HipHop, moins positifs qu’à l’époque.
TG : Je crois qu’il y a surtout plus de surenchère aujourd’hui. On cherche à faire plus de trains que son copain ou cherche à faire les métros de telle ou telle ville. La mondialisation se ressent aussi dans le graff. Il y a plein de gars qui se moquent de peindre à Lille mais cherchent à peindre les métros de toutes les villes d’Europe et c’est juste pour le dire, ce n’est plus pour leur propre kiffe mais pour se vanter de tel ou tel exploit. Maintenant il y a une autre sorte de recherche de « fame » qui n’est plus HipHop comme auparavant. Le graf est devenu moins positif et plus people.
Est-ce que les inégalités sociales se ressentent dans le monde du graffiti?
TG : Non puisque les plus gros voleurs que je connaisse sont les plus riches, du moins, des gens qui peuvent paraître aisés ou qui ont plus les moyens que d’autres. A contrario, les moins aisés sont ceux qui achètent le plus. Après ça se ressent peut-être plus dans la rue, si tu es blanc, tu as plus de chance de te faire moins contrôler quand tu graffes que si tu es rebeu ou renoi. Non, c’est comme dans toutes les disciplines du HipHop, tout le monde est logé à la même enseigne encore, je pense.
LYP : Quand tu arrives à un niveau où tu cartonnes tout, même si tu es plein aux as, tu ne vas pas acheter tes bombes, si tu es un minimum intelligent.
TG : A la limite on s’en fout que tu les achètes ou non, le truc c’est, soit tu en fais plus ou moins(avec tes bombes) puis voilà…
Maintenant que je regarde les murs, les expressions des tags, des graffs, je suis de moins en moins accroché par rapport à l’application, je sens qu’il y a moins de travail, dans le lettrage et le maniement de la buse qu’en pensez-vous ?
LYP : Les gens ne travaillent plus sur papier…
TG : Soit ils travaillent en ayant en tête un truc qui ressemble à une star international, donc ça a moins d’impact et un sentiment de déjà vu, pour la buse à mon avis, c’est la Montana qui a tué ce que qu’il y avait d’énervé dans le graff parce que la buse est beaucoup trop soft. Les peintures sont de plus en plus propres, de plus en plus lisses, ça fait toujours un résultat plus beau plus satin. Il y a aussi l’esprit comme le dit Sleek dans son interview, «quand tu graffes en écoutant du Group Home, du Public Enemy tu ne fais pas des graffes avec des fleurs».
LYP : Il y a de moins en moins de flops parce que c’est ce qu’il y a de plus dur à faire, il n’y a peut-être plus de niveau.
TG : Les gens qui ne connaissent pas la discipline croient que ce sont les graffs qui sont le plus durs à faire alors qu’à la base, le plus dur à maîtriser c’est le tag, le sreup, le block et après le graff parce que le graff peut toujours se cacher sous des effets, des couleurs, mais avec le tag, tu as un trait, tu le foires, tu le foires quoi! C’est pour ça que l’on a consacré une grosse partie à mettre du gue-ta à fond dans le livre. Parce que c’est cela qui m’a toujours fait kiffer et que je prenais le plus entre 1999 et 2000 en photos. C’est là dedans que tu ressens le plus la patate.
Au niveau du style, il y a t-il des graffeurs, des crews qui ont été influencés par telle école de l’époque, dans la région ?
LYP & TG : Il n’y a pas encore assez de recul à Lille pour pouvoir dire ça. Roubaix a un style bien particulier, il y a une école du tag qui reprend le tag des années 95 de Roubaix. Les mecs de Roubaix ont un style bien particulier hérité de Aspeek, Sleek, Creno qui eux-mêmes l’avaient hérités des Mode2, Boxer. A Dunkerque, il n’y a pas vraiment d’influences ni d’homogénéité particulière, et Lille, c’est le carrefour de tout. Donc on ne peut pas dire qu’il y ait une école particulière ou de crews qui aient marqué tellement qu’ils en ont fait des enfants à part Sleek dans le cartonnage.
Faites un classement des graffeurs qui vous ont marqué ces vingt dernières années ?
TG : En premier, Sleek, en deuxième position, Keyz, qui est l’héritier de Sleek, parce qu’il est partout également et je ne sais pas qui en troisième.
LYP : En premier, Waysz, c’est le gars avec qui j’étais en cours et qui m’a mis dedans, c’était le cousin de Cheyenne, un gars de la Madeleine. Après, Beck et Aspeek.
Quel est votre meilleur souvenir du monde de la nuit ?
LYP : Les nuits blanches à Barcelone à faire 8 persiennes en solo, être alcoolisé, poser en avoir rien à foutre de rien en solo.
TG : En pleine nuit, partir avec ma copine, faire un truc et revenir en l’ayant fait, passer le lendemain devant, être bien.
Pensez-vous avoir mis la crème du graff existante dans le livre par rapport à la matière ?
TG : Par rapport au travail que l’on a fourni, je pense que l’on a été tout de même bien complet.
LYP: Il y a eu des oublis, certes on a fait le livre avec nos contacts, mais on a été chercher à droite à gauche. C’est sûr, on ressent d’où l’on vient, même si on a essayé d’être objectif à 100%, c’est impossible de l’être.
TG : Pour l’exemple de Villeneuve d’Ascq, il y avait beaucoup de gues-ta à l’époque, personne ne prenait les photos qui étaient réservées pour les graffs, j’ai pris un sacré paquet de photos entre 1996 et 2000, et j’ai fait tous les quartiers de Lille et toutes les autres villes aux alentours, Roubaix, Villeneuve D’Ascq donc j’ai pris tout ce que j’avais, tous les tags
Pour ce qui concerne Lille, il manque à l’appel qu’une personne ou deux, sinon les autres ont seulement qu’un tag ou deux, après c’est peut-être le reproche fait autour du livre, du fait qu’on a été un peu trop Lillo-lillois comme on peut être franco-français, mais même pour Dunkerque ou les autres villes on a quand même été super objectifs.
Le mot de la fin ?
LYP et TG :Taguer et acheter Cap Nord dans tous les réseaux traditionnels de Librairie.
Cap Nord sur le web: www.myspace.com/capnord