La réédition des trois derniers albums du rappeur parisien Fabe est l’occasion de revenir sur cette référence du rap français. Si le MC n’est plus en activité depuis 6 ans, il aura marqué d’une trace indélébile l’histoire de cette musique et le cœur et l’esprit de plus d’un auditeur.Parler de Fabe, c’est aussi raconter l’histoire d’un rappeur ayant une haute estime de sa fonction et de son art. Un activiste, loin des carcans médiatiques et des crispations interne au mouvement hip-hop, dont la ligne de conduite pourrait se résumer par « jamais dans la tendance mais toujours dans la bonne direction ».
Sa carrière médiatique (lisez ave le grand public) débute en 1994 avec un single, « Ca fait partie de mon passée ». Rotation clip et radio, tout se passe bien pour ce nouveau venu. Le titre est en phase avec les productions Hip Hop de l’époque, beat jazzy cool, flow limpide et voix clair, mais avec un texte provocateur, profondément intime mais tout en ayant une portée universelle. Déjà apparait une sincérité dans le propos qui témoigne de la volonté du rappeur à être autre chose qu’un chroniqueur des turpitudes urbaines ou un comique avec des textes qui riment… à rien. Un artiste est, avant toute chose, un individu capable de se raconter, de transcender sa réalité par le biais d’une plume, d’une trompette ou d’un stylo pour que le lecteur, l’auditeur ou le spectateur se reconnaisse dans son œuvre. Fabe est un artiste qui conçoit le rap comme un art.
Son premier album « Befa surprend ses frères » également sorti en 1994, confirmera cette volonté artistique. Les productions musicales de Dj Stofkry sont dans la continuité du single et du maxi « lentement mais surement »: ambiance cool à majorité jazzy qui crée une homogénéité musicale propice à la réception des lyrics. Pas d’expérimentation, ni de dispersion qui brise souvent l’unité d’un album mais subtilité des samples de jazz qui permettent les changements d’atmosphère dans un même univers musical. Cette musicalité assumée s’accompagne chez notre MC d’un sens du refrain, un flow clair et un travail sur les allitérations et les accélérations de flow. Une écriture très technique mais qui n’oublie jamais le sens et ne parasite pas le propos. Le fond et la forme parfaitement dosés pour ne pas lâcher l’auditeur.
Mais ce qui frappe à l’écoute, c’est une forme de maturité dans le propos qui tranche avec l’image médiatique de l’époque, ou en gros tu étais hardcore et revendicateur comme NTM ou tu étais rigolo et sympa comme MC Solaar. Impossible de classer Fabe dans l’une de ses catégories. La sincérité n’a pas d’aspérité sur laquelle on peut coller une étiquette. Il n’est pas dupe du jeu médiatique ou l’on invite et donne à voir ceux qui entrent dans ses cases préfabriquées. Ce caractère entier connaîtra un écho médiatique lors d’un Taratata, l’émission musicale de Nagui ou l’invité, le chanteur québécois Robert Charlebois, et le présentateur singeront l’attitude HipHop après la prestation en direct de Fabe. Celui-ci se cassera du plateau non sans avoir remis à leurs places les deux énergumènes. Quand on revoit ce clash télé, ce qui marque, c’est la sincérité du bonhomme face aux railleries de ce type de public. Il semble blessé dans son amour propre comme si on l’attaquait lui-même. L’artiste se donne corps et âme dans son art jusqu’à ce qu’il fasse partie intégrante de lui.
Cette intransigeance lui vaudra d’autres critiques et attaques de cette masse informe et difficilement définissable qu’on appelle mouvement HipHop.
Détracteurs et faux procès se succèdent depuis l’importante visibilité télé et radio de son premier single. Les jaloux jactent et les cons se moquent.
En 1996, deuxième album intitulé « le fond et la forme ». Le rappeur semble encore plus assagi et nous livre une galette sincère, polémique et divertissante. Un juste milieu, entre exercice de style et textes dénonciateurs ou intimistes, qui prend toute son ampleur dans un univers sonore plus éclectique que précédemment.
Cet opus apparait plus sombre que le 1er album, comme un besoin de disqualifier d’office tous les détracteurs qui qualifiaient notre MC « de rappeur Walt Disney ». Cette volonté d’élever le niveau artistique du rap renvoie une grande partie des autres rappeurs à leur propre médiocrité. Fabe refuse les facilités et son exigence en agace plus d’un. D’ailleurs « l’impertinent », surnom dont il s’est affublé, ne manquera pas de mettre « ces collègues » face à leurs propres contradictions.
Mais dans la sphère rap français, la critique principale, c’est l’absence de posture rue. Ce schéma hérité des USA et diffusé par les médias français, qui fait l’amalgame entre les pires clichés sur les quartiers et ses habitants avec un matérialisme puant, parasite le rap français au point de devenir un label de qualité. Cette street crédibilité qui voudrait que l’intégrité d’un rappeur passe par un CV garni de GAV, de mandat de dépôt, d’une consommation excessive de 8.6, de cannabis et d’une propension à gonfler ses textes de grossiereté et autre provocation gratuite. C’est la mode « des durs, des boss, des tueurs à gages,…. des donbis ». Mais c’est aussi l’époque où la radio première sur le rap commence son formatage industriel pour les 10 ans à venir sur le rap français. Lissage des propos et autocensure des rappeurs créent une forme de rap pop, de variété rap.
Du rappeur rigolo au rappeur/cailllera, deux extrêmes qui se rejoignent dans un même moule commercial. Fabe rejette ces deux clichés pour affirmer sa propre identité, ni l’une ni l’autre mais une troisième voie.
Cette originalité se perpétue, en 1998, dans le 3ème album « détournement de son » que beaucoup considèrent comme son meilleur album. De l’exercice de style au rap dénonciateur, c’est une sorte d’album-somme, ou l’on retrouve ce qui caractérise l’artiste FABE. Elégance des mots, impertinence dans le propos et acuité du regard critique. Les tueries s’enchaînent sans temps mort. Notre pirate de l’art aux commandes du mic a ainsi quasiment accompli l’album parfait, aidé dans son action terroriste par la crème des producteurs de l’époque.
En 2000, Fabe sort un 4ème album intitulé « la rage de dire ». Ce titre sonne comme le slogan de la génération « qu’est ce qu’il y a? ». En scred, il inocule cet état d’esprit fiévreux qui s’introduit par les oreilles et ne lâche plus le cerveau de l’auditeur.
De plus, l’aspect revendicatif s’accompagne d’un renouvellement formel sur le flow et l’agencement lyrical. Chose rare dans le HipHop français, où beaucoup de MCs ont du mal à se renouveler, les lyrics sont toujours aussi tranchants et pertinents alors que notre rappeur nous livre son dernier album. A l’écoute, un autre sentiment, déjà présent par petites touches dans le précédent opus, nous envahit : c’est la mélancolie. Comme si le rappeur avait perdu ses illusions face à cette musique, le rap, et ce qu’elle était devenue. Comme un des 300 spartiates face aux perses, il sait qu’il a perdu mais il se jette malgré tout dans une dernière bataille. Pour marquer l’histoire et transmettre aux générations futures son épopée et les valeurs qui l’ont porté durant toute sa carrière. Sincérité, exigence et intégrité, des mots qui semblent oubliés à l’heure actuelle par un grand nombre de rappeurs. Alors pour tout ceux qui n’ont jamais écouté l’impertinent, procurez vous les rééditions, tournez vous vers le passé, appréciez ce que les anciens ont créé et vous comprendrez ceux qui disent, non sans une certaine nostalgie et un petit sourire en coin que le rap » c’était mieux avant. »