Originaire du Nord de la France, Akbal, MC et beatmaker, vient de sortir un album de 15 titres entièrement produit par Kheyzine. Il s’est entretenu avec La Voix du HipHop, sur ce dernier projet et sur d’autres sujets.
Peux-tu nous faire une présentation de ta personne et au passage nous donner les grandes lignes de parcours ?
Je suis actuellement basé sur la région lilloise depuis 4 ans, je suis originaire de Dunkerque. J’ai commencé à rapper avec mes potos vers la fin du collège, en 2004 à peu près. On avait notre crew, on tapait des soirées freestyle, on mettait des gros beats US, on essayer de faire quelque chose… J’ai fait mes premiers pas lors de petits concerts et open mics…
Vers 2012-2013, je commence à penser et à bosser mon truc plus sérieusement. Puis en 2017, je sors mon premier EP « Cheeseburger », mon « point de départ » en terme de rap quoi. Une première carte de visite en quelque sorte. Ensuite, j’ai continué mon chemin jusqu’à « Cour des grands ».
Nous t’avons découvert tardivement je dirai, sur une production de Kheyzine, sur le très intéressant « Street Symphony », extrait du EP « Jeune Vétéran » sorti en juin 2020. Aujourd’hui ton actualité c’est ton nouvel opus « Cour Des Grands « , disponible depuis janvier 2021, entièrement produit par Khéyzine. Il y a eu à peu près 7 mois entre les 2 projets, un laps de temps que nous estimons court. Y-a-t-il une stratégie ? As-tu trouvé un nouveau rythme de croisière ? Peux-tu nous en dire plus ?
En vrai, il n’y a pas vraiment de stratégie la dedans, disons qu’avec kheyzine on s’est dit qu’on allait faire deux projets, sans prétention. Mais au fond, il m’a challengé de ouf ! Derrière, le projet Cour des Grands est allé de lui-même plus loin qu’on imaginait au départ. On peut clairement dire que j’ai trouvé un rythme de croisière à travers ma collaboration avec Kheyzine. Une hygiène de travail s’est installée. Disons que je développe d’autres manières de travailler, je prends un recul sur pas mal d’éléments maintenant, la vision est différente, l’énergie est différente.
D’ailleurs, dans quel état d’esprit as-tu entrepris ce disque : Est-ce que tu t’es donné une ligne directrice, nous savons déjà qu’il y a « Une Ligne De Conduite » avec Mr JL ?
J’ai entrepris cet album en me disant : il faut flinguer le mec dans le miroir, il faut me surpasser, amener mon univers. En mode, je peux l’écouter dans 10 ans en me disant que c’est de la bonne musique. Des barz, de l’authenticité, sans toujours se prendre au sérieux de ouf en mode le gars énervé H24… Par ligne de conduite j’entends énormément de choses au fond…
Le rap existe depuis trop longtemps pour faire des rimes claquées. Tout ce genre de « rules », en mode éviter les rimes en « é », ce délire là ! Après je fais des rimes en « é » mais ce n’est pas parce que c’est simple que je la place. En fait pour moi, faut avoir une certaine exigence dans le maniement des mots. Ligne de conduite c’est l’idée de rester fidèle à soi-même dans cette exigence.
Musicalement les BPM sont lents, entre no beat, Boombap, drumkit, les ambiances sont essentiellement sombres, les atmosphères sont parfois suspectes, tendues, d’autres fois très pesantes, avec quelques moments d’éclaircissement…..Nous reconnaissons la touche de Kheyzine, dans le découpage des samples, la construction des structures aux rythmiques, les conceptions musicales sont efficaces, hypers aboutis…tout est tellement cohérent… Quelle couleur donnerais-tu à « La Cour Des Grand » et Pourquoi ?
Oui avec Kheyzine on est vraiment sur un travail en commun, on ne s’est mis aucune barrière. En vrai, je lui donnerai la couleur de la cover un peu. Par rapport au côté sombre de l’ambiance, de certaines punchlines. La clarté est présente car au fond le projet est lucide.
Etre MC et beatmaker m’a avantagé pour être plus vite carré et structuré.
Tu es également beatmaker. Nous avons découverts tes talents de producteur sur les « Underground Heat Cypher « … Comment s’est faite la connexion avec cette série de MCs Outre Atlantique ? Peux-tu nous en dire un peu plus : Beatmaker depuis quand ? Quelles sont tes armes de prédilection pour la conception musicale, tu bosses comment la création ? Quels avantages tires-tu à être mc et beatmaker ? A quand un long format totalement produit par tes soins ?
J’ai commencé vraiment à faire des beats vers 2011, 2012. Sur mon soundcloud, il y a l’un des premiers beats que j’ai fait à la mpc ! Etre MC et beatmaker m’a avantagé pour être plus vite carré et structuré. Je pense aussi que t’es moins limité au niveau créatif quand t’as les deux casquettes. Chacun sa vision, je connais des MCs beatmakers qui ne veulent pas poser sur leur propres prod ou quoi… De mon côté, j’ai une vision, dans le genre je fais un beat et voilà c’est tout !
Je cherche du sample, je travaille les épices, je fais ma cuisine dans la MPC ou sur FL Studio. Je bosse la création au feeling en vrai. Je suis à un point où la seule règle c’est le résultat. En le faisant, je ne me pose pas des questions de MC on va dire. Je me pose plus des questions de cuisto 5 étoiles, quels ingrédients je vais choisir, quelle consistance dans ma sauce …Au fond, je sais si je me sens poser dessus ou si je vois tel ou tel cainri.
En fait, j’ai fait une prod, il y a quelques années pour le Grind Mode Cypher, dedans il y avait mon gars Obnnoxioux, vrai il a tué le beat !!! Je l’ai contacté, de fil en aiguille c’est devenu mon bro en fait ! Je lui ai envoyé des dizaines de prods… On a entretenu le lien, ça a commencé en 2017. Puis en fait, je lui parlais un peu en disant que je voudrais bien aller le voir un de ces jours etc (rires) … En fait quelques temps après il m’envoie un message en disant un truc genre « Tu viens toujours ce week-end?! » j’étais K.O. ,
Bref, j’ai préparé le voyage, je suis allé à Philly en 2019, j’ai rencontré les gars des cyphers que j’ai produit dont Mar The GoodSon, Ja Rajeem, Will Mac, Bloodsport, Absolute Brillance, Blessah etc.. J’ai fait un clip avec Obnoxioux. On a même fait des plans devant le Sean Price Mural à BrooKlyn. Expérience de ouf en vrai. Je compte bien y retourner, participer à d’autres cypher.
Pour tout dire, j’ai un album sur le feu, exclusivement en tant que producteur avec les MCs du Underground Heat Cypher. Mon gars Obnoxioux a sorti son album « The Son of Sarge » en février 2021, sur lequel je produis 5 titres dont « Kings and Queens » featuring Ché Noir !
Concernant un long format autoproduit, j’y pense… J’en ferais sûrement un, mais pas tout de suite, j’ai des surprises sur le feu. Avec mes bros du BWF on bosse sur pas mal de projets…
Ce qui fait plaisir avec « Cour des Grands » c’est que du premier au dernier titre ça découpe, ça kick, tu développes un rap incisif, avec des schémas de rimes et des placements qui te sont propres, et lyricalement, nous sommes dans un univers très imagé, bien fourni en punchlines, barz et plein de folie, entre introspection, égotrip, description d’un monde violent, peinture d’instant de vie, volonté de réussir, la performance, et faire mieux qu’hier … « Pas de genre de plume qui insulte ton intellect »… Justement ça fait maintenant une série d’années que tu rappes, comment perçois-tu l’évolution de ton style avec le temps ?
Merci beaucoup ! Mon style s’est élargi, je ne me suis pas bloqué dans du boombap violon basse (je caricature). J’essaie d’amener autre chose au niveau des sonorités. Je suis assez fier de mon évolution, je pense que mon style s’est affûté sur pas mal de points. J’ai pété beaucoup de barrières mentales. Kheyzine m’a poussé dans mes retranchements !
Je bosse mes kata à la ghostdog, je prends de l’expérience et un certain recul que je n’avais pas avant. L’écoute est différente, la recherche du résultat aussi, je m’attarde plus sur les mêmes choses. Je suis comme un chercheur, mon but ce n’est pas de trouver, c’est de continuer à chercher.
S’il y avait un Top 5 des MCs qui t’ont le plus marqué depuis que tu baignes dans le rap, ça donnerait quoi ? pareil s’il y avait un Top 5 des beatmakers qui t’ont le plus marqué depuis tu baignes dans le rap, ça donnerait quoi ?
Au niveau du rap français : Lunatic, Hifi, Alkpote, Perso, le Turf
Au niveau du rap US : Sean Price, Prodigy, Roc Marciano, Gza, Method Man
Au niveau des Beatmakers : Alchemist, Pete Rock, Rza, Marco Polo, 9th Wonder
Quels sont tes principales références rapologiques, du moins celles qui t’accompagnent depuis tes premières rimes, tes premiers beats jusqu’à aujourd’hui?
Quand j’ai commencé j’etais surtout dans le délire Wu-Tang Clan, Mobb Deep, Nas, GZA, Cormega, Capone & Noreaga, Gravediggaz …Heltah Skeltah, les bails de 9th Wonder avec Buckshot. Mes références actuelles ça reste Sean P, Roc Marciano.
« Avec la langue de Molière, on fait du broyage, prône le partage comme Roosevelt à La Conférence de Yalta, un moment il me faut ma liasse, et jamais nous ne prenons le chèque, fier de cette culture… » Selon toi, les valeurs du HipHop ont-elles évolué ? Peux-tu en citer quelques-unes qui perdurent ?
Le HipHop, ça se vit pour moi. C’est une fierté d’être là-dedans. Le côté hip hop qui perdure encore, c’est le côté fait maison, en équipe en mode famille. Le truc fait « Pour nous et par nous ». L’esprit de compétition envers soi-même. J’ai conscience de faire de la musique de niche. Pas d’autotune ni de concessions sur pas mal de choses. Je suis plus dans une démarche créative que commerciale.
Qu’est-ce qui te donne encore envie de rapper aujourd’hui ?
Parce que j’aime chercher, écrire, travailler le truc, se mettre dans cet état spécial où t’es « dedans » !
Sur ces 15 titres, il y a un joli tracklisting, nous pouvons retrouver notamment Ron Brice, Mr JL, Mar The Goodson, H Khamon, Copola et Stylh. Comment s’est opéré le choix des invités ? Que sont-ils sensés apporter ou bien qu’apportent-ils à ce disque selon toi ?
Le choix des invités s’est fait en partie au feeling, et du fait qu’on se comprenne artistiquement. Ca apporte un plus ! Il se passe quelque chose quand t’écoutes, et le projet est plus varié dans l’ensemble.
Je pense qu’écouter ou peut être me découvrir sur 15 titres sans featuring, au stade actuel, c’est compliqué. Avant un album, on l’écoutait des mois. Donc ici c’est une sorte de compromis. On limite la redondance un maximum. Je pense que tu peux écouter cet album d’une traite sans être saoulé.
Quelle est ou quelle était l’ambition de cet opus ?
D’une certaine manière, l’ambition était de prendre place un peu, à travers un projet plus ambitieux, et d’affirmer mon style.
« T’inquiète, on se rappellera d’où vient la force est venue… » : Tu es de la métropole Lilloise. En quoi, pourrais-tu dire que Lille a été un atout dans le développement de ton parcours (de ta carrière) jusqu’à présent ?
En fait, je suis sur Tourcoing depuis 2017, j’ai eu l’opportunité de faire quelques scènes… faire des rencontres aussi. J’ai pu rencontrer Dann Lee, beatmaker de Lille. On bosse sur pas mal de choses ensemble en ce moment. dont un Ep qui va sortir très vite !
Inversement, en quoi Lille aura été un frein dans le développement de ton parcours (de ta carrière) ?
Je ne pense pas que le fait d’être de Lille soit un frein. Au contraire, il y a du potentiel je pense, on peut faire plein de choses ici.
J’ai conscience de faire de la musique de niche. Pas d’autotune ni de concessions sur pas mal de choses. Je suis plus dans une démarche créative que commerciale.
Quel regard portes-tu sur ce qui se fait dans la région niveau HipHop ainsi que niveau rap. Qu’est-ce qu’il reste à faire pour mettre davantage d’artistes du Nord sur la carte rapologique ?
Je n’ai pas trop d’avis sur le sujet, je fais ma sauce dans mon coin. Honnêtement, je n’écoute pas ce qui se fait ici actuellement.
Comment vis-tu cette période particulière du siècle, la crise de la Covid-19 et ses conséquences, le confinement, la perte progressive de nos libertés au passage ? Est-ce que cela touche, ou impacte ta manière de bosser, est-ce aussi une occasion d’être davantage productif pour toi ?
L’an dernier, je prévoyais un concert. Mon gars Ja Rajeem avait pris son billet d’avion etc. et ils nous ont confinés juste après. Je ne pense pas que le confinement a eu un impact positif sur moi. En vrai, je me « confine » déjà pour créer, mais comme beaucoup de gens je tiens à ma liberté. J’aime bouger aller voir les bro sur panam, bouger à Amsterdam ou même aller en Allemagne bomber sur l’autobahn, ou simplement aller dans un bar boire un verre etc. Là, on doit s’organiser autrement, mais derrière je bosse mon truc avec le même entêtement ahaha.
Clairement, mon rythme de croisière s’est mis en place peu après « Jeune Vétéran ». Je me suis mis à enchainer les tracks. Je ne sais pas comment expliquer ce qui s’est passé, mon mindset a évolué. J’ai débloqué un niveau comme dans les RPG ahah. Les idées fusent plus vite, je bosse d’une autre manière j’anticipe plus.
Que signifie être dans » La Cour Des Grands » pour toi désormais ?
Je bosse plus au » hasard », même si j’enchaine plus, je n’oublie pas le feeling. C’est le début d’une nouvelle phase pour moi. Le fruit d’un travail, d’un truc plus maitrisé, il y a de l’âme là-dedans, de nouvelles couleurs, plusieurs styles différents.