12 Monkeys Records est en train de s’imposer comme une valeur incontournable du rap français non seulement en tant que label mais surtout en tant que mouvement, et rapper CHAM en est un des fers de lance. A l’occasion de la sortie de son EP « Posture et Dress Code 2», il s’est entretenu avec La Voix du HipHop sur ce projet, mais aussi sur son art et son ambition.
Tu voyais ton EP « Posture & dress code » comme un film. Pourquoi en avoir fait une suite ?
Pour moi « Posture & Dress Code » est un univers que je considère comme étant en développement et que je me plais à explorer. Le premier EP n’était que le début de cette exploration.
Dans quel état d’esprit et avec quelle ambition, tu as abordé ce nouvel EP « Posture et Dress Code 2» ?
Dans ce que je fais, il y a toujours une part de compétition d’un point de vue rap, production et réalisation. Que ce soit vis-à-vis de moi-même mais aussi vis-à-vis des autres acteurs du rap en général. Et ça, c’est l’état d’esprit du 12, avec toujours l’ambition et même l’obligation de faire mieux que le projet précédant.
Fin 2019, pour le premier EP, fin 2020, pour le second. Tu fais partie d’un label, 12 Monkeys Records avec différents MCs qui partagent en outre, plus ou moins, les mêmes producteurs/beatmakers. Qu’est-ce qui dicte la sortie de tes projets, au-delà des moyens techniques et logistiques qui permettent de sortir plus rapidement et plus facilement, ses projets ? La créativité ? La rapidité du travail ? L’opportunité ? Autre chose ?
Je dirais principalement la créativité et la rapidité d’exécution pour un projet, je suis toujours très exigeant sur le choix des instrus et malgré cela, j’ai toujours eu plus d’instrus qu’il n’en fallait. Donc la productivité des beatmakers avec lesquels je travaille joue énormément sur la fréquence des sorties de mes projets. On peut dire que jusqu’à aujourd’hui j’ai toujours été bien servi.
Entre les deux projets, à quel niveau penses-tu avoir progressé ? Flow, lyrics, choix des beats, etc ?
J’essaie toujours de m’améliorer à tous les niveaux mais c’est surtout en termes de réalisation : Se poser les bonnes questions qui te permettent d’avoir un projet cohérent du premier au dernier track. Parce qu’on peut être le meilleur en termes de rap et faire de mauvais albums, on a très souvent vu ça dans l’industrie et c’est un piège à éviter.
Dans quelle mesure la pandémie de la COVID-19 a-t-elle affecté ou impacté ton travail d’artiste ?
D’un point de vue « Label », il a fallu que l’on soit plus productif, Ron Brice a sorti « Pédigrée des Grands » et pour ma part on a eu « Posture & Dress Code 2 » plus une version deluxe qui est arrivée plus tard ainsi que des inédits avec WaveClique. Notre méthode de travail a dû s’intensifier par la force des choses, sachant que la consommation de musique sur les plateformes a quelque peu changé au cours de cette période, au final cela est même devenue notre nouvelle méthode de travail post COVID.
Le rap n’est pas tellement une thérapie pour moi, mais la réussite peut, en partie, en être une, atteindre ses objectifs en est une.
Qu’est-ce qui explique que tu fasses le choix des EP plutôt que celui d’un album complet ?
Ce choix est purement stratégique, la musique est consommée différemment aujourd’hui et l’attention du consommateur de musique a changé avec le streaming. On passe d’un projet à un autre parfois en l’espace d’une semaine. Ce qui fait que certains titres qui se retrouvent dans des albums de 15 morceaux voire plus n’ont parfois pas l’attention qu’ils méritent. C’est un parti pris de sortir des projets plus court où les morceaux retiendront plus l’auditeur dans notre univers.
Benz, Fendi, Belaire, art, etc. Il se dégage à travers ta musique, un univers, non pas bling bling, mais street et chic. Par contre, tu dis aussi, dans « Diamants de Bokassa », « Je soignes mes plaies par des signes extérieurs ». Le rap, c’est une thérapie pour toi ? Et quel message tu essaies de faire passer avec toutes ces références de marques de « luxe » ?
Le rap n’est pas tellement une thérapie pour moi, mais la réussite peut, en partie, en être une, atteindre ses objectifs en est une. C’est un « mindset » et j’essaie de m’exprimer là-dessus le plus possible. Et quand tu vas plus loin dans la phrase que tu as citée plus tôt je dis « ce cashback c’est pour l’Afrique parce que mon peuple a des problèmes antérieurs ». C’est mon objectif et mon état d’esprit que j’essaie de transmettre. La présence du luxe dans tout ça, c’est le décor qui me permet de faire passer mes messages. Et ça fait partie de mon storytelling, un peu comme Rick Ross ou Westside Gunn peuvent le faire.
« La presse prendra le temps qu’il faut, mais viendra manger » (Benz Music) : Il y a-t-il une stratégie de ta part, voire de 12 monkeys, vis-à-vis des médias ? Parce que justement, tes acolytes et toi, vous y êtes très peu présents. En quoi selon toi, tu serais incontournable ?
Notre seule stratégie est uniquement de faire de la bonne musique, media ou non. Ce qui est sûr c’est qu’actuellement un mouvement se crée autour du style musical que le 12 pratique. Benjamin EPPS que j’ai invité sur Posture & Dress Code 2 est la preuve qu’il se passe quelque chose d’important dans le rap français, et les médias ne peuvent pas passer à côté de ça… Ce serait même une faute professionnelle selon moi. Si 12 Monkeys Records n’est pas incontournable ce qui est sûr c’est que ce mouvement l’est, sans aucun doute.
Dans «Frères D’Armes », tu dis « La Françafrique nous a changé quand nos mères voulaient nous élever ». Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
J’essaie très souvent d’avoir une phrase qui aborde des sujets liés à l’Afrique dans mes morceaux, et dans cette phrase je parle des africains qui comme moi sont nés en France et dont les parents souhaitaient une vie faite de plus d’opportunités que sur le continent africain. A une époque en tout cas c’était l’image qu’eux en avaient. Mais vivre en France n’a pas rendu les choses plus faciles pour autant d’un point de vue social pour eux et pour la génération qui est la mienne. L’idée de mes morceaux, c’est surtout de pouvoir donner à la personne qui m’écoute des perspectives différentes, en abordant les thématiques de la « street » par exemple d’un prisme autre que celui trop souvent exploité par les rappeurs eux-mêmes.
Actuellement un mouvement se crée autour du style musical que le 12 pratique. Benjamin EPPS que j’ai invité sur Posture & Dress Code 2 est la preuve qu’il se passe quelque chose d’important dans le rap français…
« J’ai placé des limites aux rêves pour ne pas qu’on me mente » (dans Diamants de Bokassa). Quand tu as commencé à rapper, tu rêvais de quoi ? Et qu’est-ce qui a fait que tu aies décidé de doser tes rêves ?
Quand j’ai commencé à rapper je rêvais d’être Nas ! (rires) En fait je tente surtout de faire en sorte que mes rêves soient plutôt des objectifs. Avoir un label était un rêve mais 12 Monkeys Records s’est concrétisé uniquement au moment où c’est devenu un objectif. Avoir des rêves est important mais le passage du rêve à l’objectif l’est d’autant plus.
La production de ce EP est assurée par notamment Just Music Beats, Wave clique, Kheyzine et Tito Fiasco à la différence du premier il n’y a pas les membres de 12 Monkeyz Records à la conception musicale….il y a un élargissement de ton cercle ….par exemple « Pour en finir », qui est produit par un dénommé Tito Fiasco. Qui est ce Tito Fiasco ? Ou encore qui sont Cultxre et Krimo (Que l’on retrouve sur la version Deluxe) Et comment ces derniers ont-ils intégré une équipe ou une formule qui marche déjà très bien ?
WaveClique fait partie du 12, c’est le travail de Ouz’one et Stanza en commun, et mes projets se font toujours avec eux, c’est la famille ! Pour Tito Fiasco, j’ai découvert son travail sur les réseaux et Ouz’one le connaissait aussi. J’adore sa façon de sampler des titres new jack ou plus actuels, son style fait totalement partie de mon univers. Pour Krimo, c’est grâce à Hemo qui travaillait sur leur EP en collaboration, et ils m’ont invité sur un de leur titre. Par la suite je me suis intéressé à son travail et les deux prods que j’ai eues de sa part sont vraiment incroyables ! Pour Cultxre, c’est également via les réseaux que j’ai découvert son travail puisqu’il est originaire d’Inde et il travaille avec des rappeurs d’horizons divers. Clairement, on écoute les mêmes trucs lui et moi, donc ça ne pouvait que fonctionner. En bref, je trouve à tous ces beatmakers des points communs qui me font progresser en tant qu’artiste et font avancer mon univers sans perdre la formule de départ. Aujourd’hui ils font véritablement partie de cette « formule Posture & Dress Code ».
Cet opus nous permet également de découvrir d’autres facettes de ta personne et de ton art ….Musicalement que voulais-tu apporter à ce disque ? Qu’est-ce qui te tenait à coeur de transmettre dans ce « Posture et Dress Code 2 » ?
Pour ce nouvel opus l’idée n’était pas forcement de faire une simple suite mais surtout d’aller plus loin dans la construction de l’atmosphère « Posture & Dress Code », d’imposer une marque de fabrique, et avec cet objectif montrer qu’on est à un tournant dans le rap en France. Soit on fait les mêmes albums que 95% des rappeurs en France avec les mêmes prods, les mêmes flows, et les mêmes textes pourris (rires) soit, parce qu’on aime vraiment cette musique, on se prend la tête pour sortir des projets de qualités…
Au passage tu es également Beatmaker, si je ne me trompe, donc à quand un projet de Cham Rapper avec des productions signées par Cham Rapper ?
Franchement, j’espère un jour pouvoir faire ce projet mais j’ai tellement de beatmakers talentueux autour de moi et tellement de choses à apprendre d’eux qu’il faudra être encore patient.
Tout le monde a le droit de rapper. On n’est pas la police du HipHop (rires) ! Maintenant ceux qui le font se doivent de savoir que c’est une culture et de dire que c’en est une. Rigoler dans le HipHop n’est pas un problème mais s’en moquer en est un.
Que devient » Carte Blanche « , le duo que tu formes avec Stanza ?
C’est toujours d’actualité, ça fait partie des projets que j’aimerais concrétiser pour 2022, et c’est certainement l’un des plus important pour nous.
Quand on n’est clairement pas dans la tendance, comme tu peux l’être mais surtout dans l’axe d’un Hip-hop plus traditionnel, pour qui tu rappes et qui souhaites-tu toucher avec ta musique?
Je ne mets clairement pas de barrières. Si je peux toucher un maximum de personnes de couches sociales différentes, ça me va. Dans mon processus d’écriture, je ne pense pas spécialement à une cible. J’ai juste envie qu’on ressente le respect que j’ai pour cet art et pour la personne qui m’écoute, peu importe son origine et son histoire.
« J’vais jamais quitter ce rap parce que le mal est fait. ». Comment doit-on comprendre cette phrase ?
Le rap fait partie de ma vie depuis longtemps et ne m’a jamais quitté. Je pense que ça durera encore un bon moment pour moi tant que mon cœur et mon cerveau fonctionnent. Le rap a toujours été le meilleur des défouloirs chez moi, donc pas question de m’en séparer.
Nous savons que vous suivez particulièrement ce que fait le label Griselda. Le tableau de la couverture de ce nouvel EP n’est pas sans rappeler celui de la cover de« Pray for Paris » de Westside Gunn. Quel sens tu donnes à cette couverture?
Je tenais à conserver une certaine continuité dans ce visuel. Là où mon visage était couvert sur la cover du premier volet, là je dévoile cette partie sur le deuxième. Ca montre mes intentions de façon subtile. Les anges dans le fond, c’est pour l’évolution de mon rap depuis le premier EP. Ral Duke a fait un vrai travail de recherche et il a vraiment capté toute l’ambition que l’on voulait transmettre avec cette cover.
Dans « Grosse pointure » de Ron Brice, tu déclarais « bosser dans l’ombre jusqu’à ce que la lumière s’amène » et que ça faisait de toi, « un type au-dessus de la moyenne »… En quoi ce projet pourra-t-il te rapprocher de la lumière ? Et puis, elle représente quoi cette lumière, pour toi ?
La lumière représente beaucoup de choses. Parce que j’aimerai qu’un jour le 12 aille au-delà de Ron Brice, WaveClique et moi. Même si la pente est raide pour le moment, chaque projet est un pas de plus vers les différents objectifs qu’on se fixe pour le 12 chaque année. D’ailleurs d’ici la fin de cette année, on a encore beaucoup de rap à livrer.
Dernièrement tu as sorti « Posture & Dress Code 2 « , Edition Deluxe avec 6 nouveaux titres inédits. Déjà pourquoi avoir opté pour cette formule ? Quel est l’objectif de cette nouvelle édition avec 6 titres inédits vraiment efficaces ?
Avec cette édition Deluxe, j’avais envie de compléter la version initiale du EP avec des titres qui permettaient d’avoir un projet encore plus en profondeur dans mon univers sans aller vers un Posture & Dress Code 3. Et c’est un mois après la sortie du EP que je suis retourné en studio pour faire ses 6 titres. Ce n’était vraiment pas calculé de notre part, on s’est juste dit que c’était important de le faire donc je l’ai fait.
Sur instagram, tu utilises le hashtag, #pourlaculture. Ça veut dire quoi aujourd’hui, œuvrer pour la culture, faire avancer la culture HipHop, quand la tendance est davantage à, comme un titre de Naza l’illustre bien, mouiller le maillot pour mailler ?
Tout le monde a le droit de rapper. On n’est pas la police du HipHop (rires) ! Maintenant ceux qui le font se doivent de savoir que c’est une culture et de dire que c’en est une. Rigoler dans le HipHop n’est pas un problème mais s’en moquer en est un.
Y-a-t-il un mot de la fin ?
La voix du Hip Hop trouve toujours son chemin, Posture & Dress Code 3 arrive…