Just Music Beats, produit de la musique de qualité comme marque de fabrique et se démarque largement de ce qui se fait dans le rap actuel. Oliver aka Jery Gangstleman s’est entretenu avec la Voix du HipHop au sujet de leur musique, leur processus créatif et leurs projets.
Just Music Beats, c’est qui ? c’est quoi ? Depuis quand et depuis combien de temps ?
JMBeats, c’est une équipe de beatmakers, Buddahkriss aka Jimmy Ruckus et, moi-même, Oliver aka Jery Gangstleman forment l’embryon du groupe. Mais 3/4 autres personnes tournent autour et font partie intégrante de JMB (gestion de vidéos, infographistes, diggers de sales boucles lol). Tous originaires de Marseille. JMBeats a été créé début 2008, j’étais le seul beatmaker du Label Just Music et Kriss nous as rejoint et a créé une nouvelle dynamique au projet initial.
Personnellement, la première fois que j’ai entendu des productions de Just Music, c’est sur la « Freetape Volume 2 » du groupe Le Turf sortie en 2010, je crois. Puis la première fois que j’ai fait attention aux productions signées Just Music Beats (avec un drop apposant votre nom au début de chaque prod), c’est sur la Perso Mixtape de Perso du Turf, sortie courant 2011. Que s’est-il passé entre temps 2010 et 2011, étant donné que vos productions sont passées de Just Music à Just Music Beats ?
Comme je le disais plus tôt, le duo s’est formé en 2008. Nous étions en plein milieu du projet l’As de Diamant (sortie en 2010) du label Just Music. Il fallait qu’on trouve nos marques, et surtout qu’on finisse ce projet, qui suivait La Mixtape, qui avait eu de bons retours mais sans featuring. C’était notre premier album totalement autoproduit, mixé, masterisé, commercialisé et autofinancé par nos soins lol.
En même temps, les demandes de beats avec les réseaux sociaux explosaient. Il fallait être productif et placer le plus de beats possible sur tous les albums susceptibles de sortir dans les bacs (quand il y en avait encore…). Pour revenir à ta question, après la sortie de l’As de Diamant, je me suis posé la question si ça valait le coup de monter des projets, prendre du temps pour sa passion, faire des sacrifices (financiers et physiques) pour récupérer un petit billet. Le choix a été vite fait quand tu as une famille à nourrir.
On a décidé de ne plus s’occuper que de la partie artistique (beatmaking, mix, mastering) et laisser tomber la partie commerciale. En plus, le stream balayant toutes les ventes physiques, on a dit STOP, on reste chez nous. On fait des beats et on verra bien. Et on a aussi créé le blaze JMBEATS et le tag apposé comme une marque de fabrique pour que les gens sachent qui nous sommes et ce qu’on fait – généralisé depuis par la plupart des beatmakers.
Par rapport au TURF, les premiers contacts c’était sur MySpace. On s’est écouté mutuellement et on s’est dit la même chose : « putain ce sont des tueurs les mecs » lol. Donc on a envoyé les scuds surtout avec Perso, c’est la famille. Encore aujourd’hui, c’est le premier à qui on va proposer nos beats, parce qu’on est sûr qu’il va faire du sale dessus.
A quand remonte vos premiers rapports avec le HipHop ? Avez-vous pratiqués d’autres disciplines de cette culture avant de vous consacrer à la musique et au son ? et au passage comment s’est faite la rencontre entre vous ( Buddah Khriss et Oliver ) ?
Mmmmmm… je suis un Old timer, un OG, un Jeune Vétéran lol. Je suis un quarantenaire, j’étais un gamin qui regardait H.I.P H.O.P de Sydney dans les années 1980. J’ai vraiment grandi avec cette musique, impopulaire et réservée à une élite jusqu’aux années 90. Parce qu’ il fallait aller les chercher les disques à l’époque à Marseille.
J’ai connu les K7 que les Grands faisaient tourner. Parce qu’à l’époque, il n’y avait pas de piratage internet ni de Youtube. Soit tu volais les Cds, soit tu faisais des copies en k7. J’ai touché un peu aussi au Graffiti au début des années 90. J’ai croisé les grosses équipes comme les 132 avec qui j’ai toujours des liens mais j’étais un gros sportif. Et ce qui allait avec le HipHop à l’époque, c’était le basketball, Jordan, la Dream Team. Donc j’ai poussé un peu plus loin le rêve et je suis parti aux US vers 17ans.
C’est plus en début 2000, après avoir taffé chez IV MY PEOPLE, où j’ai pu expérimenter le coté selfmade d’un label et tout le côté « commercial » (l’édition, la distribution et la communication), que j’ai commencé à me poser la question sur le beatmaking : Qui peut me faire des instrus sur mesure à part moi ?
Je ne vais pas te mentir, le rap français début 2000, les équipes de pleurnichards piano-violons de l’époque c’était pas ma came. On voulait faire du cainri, des gros samples, des trucs sales, du rap en français mais du RAP.
Kriss est plus jeune que moi, on s’est rencontré pendant le concert de GhostFace Killah à Marseille. C’est Marti aka El Rey (co-fondateur de JUST MUSIC) qui nous as présenté, sinon je pense qu’on ne se serait jamais parlé lol. On n’a pas mal de points communs et notamment sur le fait qu’on n’ aime pas les gens en général, on a un entourage restreint. Mais bon comme nous sommes des connards tous les deux, on s’est dit autant mettre nos forces en commun pour vous faire saigner du nez… Voilà en gros comment s’est créé JMBEATS.
Qu’est-ce que la musique vous apporte au quotidien ?
TOUT. Cette merde rythme ma vie, mes émotions, c’est comme une drogue il me faut ma dose tous les jours lol !
Cela fait un bout de temps que l’on tente de suivre votre travail. Effectivement, durant un moment, les conceptions musicales signées Just Music Beats étaient peut-être ou semblaient essentiellement être des influences trés New-Yorhaises, très marquées Queens Bridge, Harlem également mais surtout dans la même veine que The Alchemist à une certaine période. Puis ensuite des inspirations tel que Justus League, West-Coast comme notamment les productions de Cardo ou espagnoles à la Cookin’ Soul… Quoiqu’il en soit aujourd’hui Just Music Beats, c’est une identité sonore, c’est une pratique du sampling réalisé dans les règles de l’art, c’est de la musique de Qualité comme marque de fabrique et qui se démarque largement de ce qui se fait dans le rap actuel… Y-a-t-il un album en particulier qui vous a fait découvrir ce qu’il était possible de faire avec un échantillonneur ?
Je ne dirai pas UN album, mais plutôt une génération de beatmakers qui est toujours plus ou moins active aujourd’hui et notamment tonton ALCHEMIST, mais aussi JUST BLAZE, HAVOC, RZA, PRIMO, DRE , ERICK SERMON, LARGE PRO, SID ROAMS, SEBB (big up). En France PONE, DJ MEDHI (RIP) et DJ SEK (big up aussi), voilà c’est plus court lol !
En tant que réalisateur, producteur, beatmaker, à quel niveau estimez-vous avoir le plus progressé depuis « L’As De Diamant » ?
Avec l’expérience tu progresses sur tes logiciels de MAO. Tu as l’oreille plus précise, des automatismes qui se créent, et tu partages. Tu échanges avec d’autres acteurs de la musique en général et tout ça te fait grandir et tu ouvres à d’autres horizons aussi. La musique, c’est un truc toujours en mouvement, il faut rester au courant de tout ce qui est innovant.
Vous faites partie de ces rares producteurs qui ont toujours accordé beaucoup d’importance à l’art du mix. De nos jours, la plupart des grands producteurs ne sont pas DJs, ce sont désormais deux catégories bien distinctes. Quelle est votre opinion là-dessus?
Chacun fait ce qu’il veut. On a dû faire DJ sur scène par nécessité notamment avec les artistes de JUSTMUSIC au début, puis avec PERSO par la suite. Mais ça prend énormément de temps en plus du studio (étant ingé-son aussi par nécessité). En fait, ça dépend de tes moyens financiers et du temps que tu as à consacrer aux différentes places de la création d’un projet. Tu peux tout faire en indépendant – et prendre le million comme JUL. Ou être artiste en Major et souvent formaté à toute la variété actuelle. Mais tu auras plus de visibilité avec leurs réseaux parce qu’ il faut la vendre cette merde…
Quelles sont vos armes de prédilection pour la conception musicale ? Comment travaillez-vous ? Y-a-t-il une méthodologie particulière derrière les productions de Just Music ? Y-a-t-il un partage des tâches, avez-vous chacun une spécialté ?
C’est NO LIMIT. Il n’y a plus de barrière dans le rap aujourd’hui, tu vois. On est issus d’une école où si tu reflip un sample connu, si tu fais pas mieux… jette le, parce que tu n’as pas apporté un truc en plus. Mais la nouvelle génération s’en braaaanle ! Il n’y a pas de respect de qui a fait quoi et quand. Une loop est reflipée dans tous les styles trap, afro, latino etc….ils attendent même plus 2 semaines lol !
Pour ma part, ça me fait saigner des oreilles mais c’est comme ça, en France. Le pire, c’est que ça fait des copier-coller de beats US et ça crache sur les cainri, en revendiquant une innovation française mdr. Les vrais savent mais l’auditeur lambda s’en bat les couilles, donc nous aussi, il ne faut pas se prendre la tête. On écoute tellement de choses qu’on fait des beats selon l’inspiration du sample ou d’un breakbeat qui nous a plu, il n’y a pas de spécialité à part le fait que Kriss fait tous les mixes. Aujourd’hui, moi je n’ai plus le temps pour ça. Il a tellement progressé qu’on se sait, il va faire péter le truc comme on aime. Je lui fait entièrement confiance, c’est un maaaanstrr, comme on dit chez nous.
On bosse sur différents logiciels. Moi, je suis un pro-FL STUDIO et Kriss est un pro-CUBASE. On a aussi chacun une MPC mais on les utilise peu. Au final, l’important c’est que le beat tape même s’il est fait avec 2 bouts de bois et une ficelle !!!
Comment définiriez-vous votre musique en 3 adjectifs et pourquoi ?
AUCUNE LIMITE à faire notre MERDE parce que nous sommes INDEPENDANTS et qu’on s’en bat les couilles de ce que les gens en pensent. On n’a plus rien à prouver !!!
Vous restez dans la culture du sample. Qu’est-ce que le sample représente pour vous ? Et vous est-il déjà arrivé d’avoir des soucis pour déclarer certains samples?
Comme je le disait plus tôt, on continue à sampler parce que nous ne sommes pas des putains de musiciens. Nous sommes autodidactes et nous arrivons à faire quelques accords mais bon on laisse ça aux gens qui savent le faire vu qu’ils le font mieux CQFD.
Quand tu prends un sample, il y a tout dessus : les accords, des voix, des instruments réels pas numériques, avec le pitch ça change tout. Tu as l’impression que d’autres sons apparaissent. Et le temps que tu passes à trouver LA boucle dans les 3600 albums que tu as parcouru pour le trouver, c’est jouissif lol !
L’envers du décor, c’est effectivement la déclaration des droits d’auteurs. On n’a jamais eu de problèmes parce que pour les auteurs nous ne sommes pas des vaches à lait. On est « insolvable » et de toutes les façons, on ne fait pas de gros sous, donc nous n’existons pas pour ces gens lol !
Par contre quand tu travailles avec des artistes reconnus et suivi par les pookies de l’édition qui veulent manger sur tes ventes, bah tu n’as pas le choix soit tu raques soit tu rejoues tout le merdier. Mais ça ne va jamais sonner comme le sample original.
Avez-vous une passion pour le crate digging ? si oui, quelle est votre routine ? Qu’est ce qui vous motive à aller sans cesse chiner des disques ?
Le crate diggin a lui aussi évolué avec internet. A l’époque, il fallait aller à la bibliothèque pour prendre le max de CDs pour trouver des boucles. Les vinyles je ne sais pas comment les mecs faisaient et avec quel budget mais pour moi c’était trop cher. Donc internet a révolutionné le diggin, les blogs sont apparus et aujourd’hui tu trouves tout sur Youtube – et oui, on sample sur youtube lol. Effectivement la qualité du son n’est pas celle d’un vinyle OG, mais il y a toujours des versions FLAC qui tapent pas mal.
Comment ressentez-vous l’évolution du son HipHop ces dernières années ?
De la varièt, de la varièt, et encore de la varièt….soi-disant le « HipHop» est la musique la plus écoutée et streamée mais en vrai c’est de la « pop urbaine », de la varièt tout simplement. Et ce qui me gêne toujours un peu c’est que les médias vont classer ces gens dans le rap. Par contre du coté de Buffalo (Griselda records), il y a truc qui émerge et ça fait plaisir parce qu’on ne se sent plus seul à faire la musique que l’on aime lol !
Je dis ça pour rigoler parce qu’en vrai si tu cherches, il y a beaucoup de bonnes choses, d’artistes qui ont du talent. C’est juste plus difficile à trouver dans la masse de type mauvais qui s’autoproclament « rois du rap game » parce qu’ ils ont fait 1 million de vues…
Quels sont les principaux avantages que vous tirez de ce changement de paradigme qui opère au niveau de la production rap avec la démocratisation d’internet ?
Une visibilité sans obligation financière principalement. On ne fait pas le même type de sons mais JUL a montré la voie. Sans cette maîtrise des réseaux sociaux, ça aurait été plus difficile de sortir 3 albums par an lol.
Les achats de vue/streams ont faussé les chiffres et personnellement vendre 100 000 disques et faire même 100 000 000 de vues ce n’est pas la même chose, si tu vois ce que je veux dire….
Les échanges avec d’autres beatmakers/MCs à l’international, il y a 20 ans ça aurait été impossible de parler à untel ou untel sans internet sans avoir un bras dans l’industrie musicale. Aujourd’hui, c’est possible et ça fait progresser, en plus tu trouves tous les tutos sur google pour trouver une solution à tes problèmes en terme de sons.
A quoi ressemblerait un top 5 des meilleurs producteurs-beatmakers de ces 5 dernières années pour vous ?
ALCHEMIST ; VDON ; JAKE ONE ; BEATBUTCHA ; JUST BLAZE/HAVOC (ils font plus autant mais c’est une claque à chaque sortie lol).
Dernièrement nous avons interviewé Perso du Turf, qui nous disait que cette année, ça fait dix ans qu’il bossait avec Just Music Beats. Effectivement la liste des artistes – avec lesquelles vous avez travaillé ou vous collaborez – ne cesse de s’allonger, IAM, Le Turf, Sat L’Artificier, Veerus, Flynt, Ron Brice, Rapper Cham, Mr J.L, Degom, Deen Burbigo, Gino, Taipan, Mesrime, Ockney, etc. Quels sont les artistes (en groupe ou solo) que vous souhaiteriez avoir sur vos productions? disons 3 noms ?
En France franchement, on a fait le tour quand même. On a bossé avec pas mal d’artistes mais on est toujours ouvert. Faut-il qu’il est une affinité en terme de qualité et c’est parti.
Après, nos attentes ont toujours été plus outre-atlantique : Roc Marciano, Westside Gunn, Freddie Gibbs, Smoke DZA, Al-Doe, Pusha T.
Que peux-t-on attendre de Just Music Beats pour les semaines et mois qui arrivent ? Y-a-t-il des projets en route ?
Un très gros projet arrive. Je ne peux pas en dire plus. C’est en cours pendant le confinement, mais ça va faire tellement de bien au rap français.
Sinon on tape des beats par passion on a notre propre réseau de Mcs qui taffent sur leurs projets donc ça tourne. Vous allez continuer à entendre parler nous lol !