Jérémie Lenoir, réalisateur, nous expose son travail et notamment ses deux documentaires sur la culture HipHop tournés en Afrique. Découverte.
Qu’est-ce qui plait dans ton domaine, dans l’image ?
C’est quelque chose que j’ai en moi depuis super longtemps. Je suis un passionné de cinéma. L’image, en fait, à la base, je ne voulais pas vraiment en faire. C’est une série de « hasards » qui m’y a poussé. Maintenant ce qui me plait c’est qu’on l’appelle le quatrième pouvoir. L’image a un pouvoir hallucinant dans notre société. Ce qui me plait, c’est qu’en travaillant là dedans, on pe–ut travailler cette question du pouvoir. On peut faire du contre pouvoir.
Te considères-tu plus comme un autodidacte ou une personne autonome…. ou peut-être les deux ?
Oui. Les deux en fait. J’ai un peu déserté la culture officielle depuis douze, treize ans. Je me suis toujours tourné vers les cultures marginales. D’abord le roman noir, moi je suis plutôt issu de la littérature. Je lisais beaucoup de romans noirs américains. Je pense que le HipHop et le roman noir ont beaucoup de points en communs comme avec le cinéma, ce sont des cultures populaires.
Autodidacte, oui parce que j’ai été formé sur le tas à la vidéo. Moi, j’utilise des techniques que tout le monde sait utiliser. Aujourd’hui dans nos pays, tout le monde a accès à un ordinateur. Si tu veux faire du son, tu vas réussir à en faire et si tu veux faire de l’image tu vas réussir à en faire. Maintenant, c’est à la portée de tout le monde. Le boulot qu’il y a à faire et l’originalité à développer, c’est autre chose mais au moins on a la technologie à disposition. J’ai été formé sur le tas et après je me suis équipé, ce n’était pas énorme. Je n’ai pas de métier, pas de boulot. Je vis avec le RMI depuis très longtemps et j’ai quand même réussi à m’équiper et à goupiller mes films. Bon, avec l’aide de mes proches aussi. Mais aujourd’hui je travaille sur le même ordi qu’il y a dix ans.
Tu as sorti « Foniké » en 2005. Il a eu un bon accueil. C’est à Conakry que tu es parti tourner caméra au poing. Pourquoi as-tu choisi l’Afrique noire ?
L’Afrique noire, c’est un pur hasard, la Guinée aussi. L’Afrique, c’est moins un hasard parce qu’avant d’y aller, je m’intéressais déjà au HipHop français qui est pétri de références à l’Afrique. C’est une rencontre avec des rappeurs africains de passage à Lille (Kill Point de Guinée) qui a déclenché mon histoire avec Foniké. Ils m’ont invité là-bas et donc j’ai vu l’Afrique pour la première fois de ma vie. Comme j’avais une idée qui me paraissait bonne pour développer un truc là bas, je n’ai pas eu envie de la garder, de ne pas le faire. J’ai essayé de me faire produire mais, comme je disais, je ne suis pas du métier. Je ne suis pas très carriériste non plus donc je n’ai jamais vraiment trouvé d’appui. Alors un jour je suis parti. J’ai emprunté des sous. Cela faisait très longtemps que je n’étais pas parti en vacances, je me suis dis voilà je vais prendre des sous comme d’autres le font pour aller en vacances, je prends une caméra et puis on verra bien si j’arrive à tourner un truc. J’ai goupillé ça avec un pote guinéen. Je suis parti le faire et puis voilà. Personne n’en avait rien à foutre et du coup j’étais tranquille pour le monter. Je l’ai sorti un an après. J’ai mis un an pour le monter. Et voilà comment je me suis retrouvé en Afrique. A cause de ça: j’ai vu, ça m’a touché et j’avais une idée qui semblait valable pour parler de ce pays là et en même temps pour les artistes que j’ai rencontrés…
Une sorte d’échange?
Voilà et ça l’a fait. Ça a prouvé que ce n’était pas une mauvaise idée. Ça a été beaucoup regardé par les gens de la diaspora guinéenne. Ça a même forcé des barrières médiatiques, il y a Canal + qui l’a vu et diffusé en partie. Il y a des festivals de cinéma qui ne s’intéressent pas à ce genre de culture qui se sont intéressés à « Foniké ». Parce que ce film, par le rap, dit des choses sur toute une jeunesse africaine, au delà de la Guinée, que les cinéastes ont de plus en plus de mal à capter. Le rap a été un vecteur pour parler des sans voix. Il y a beaucoup d’africains, du peuple, qui ont reconnu ça en « Foniké ».
C’est presque un film fait par les rappeurs. Un film dans lequel je voulais m’effacer et me mettre en tant que technicien. Voilà, je suis occidental, j’ai du capital, je peux avoir un visa quand je veux, j’ai une idée qui, à priori n’était pas mauvaise. A moi de me bouger le cul pour la mettre en œuvre.
Au final, c’est une œuvre assez novatrice qui ne suit pas les conventions habituelles ni les discours convenus. Est ce que c’est voulu ou vraiment fait au feeling ?
C’est réfléchi dans le sens où je me suis posé la question de savoir comment filmer quelque chose de grave, qui n’est pas anodin. Ce n’est pas un pays où il n’y a que des palmiers et du soleil. Il y a quelque chose de grave qui se passe là bas. La France a vraiment un rapport particulier avec l’Afrique. C’est le dernier pays colonisateur à avoir une présence militaire sur le continent africain. Et donc en tant que français, en tant que blanc, c’est comment tu te positionnes pour aller filmer en Afrique. Il y a plein de gens qui disent, notamment des journalistes, qu’on ne peut plus filmer en Afrique. C’est tendu. Moi j’avais réfléchi à plutôt que de faire un film sur quelque chose, de faire un film avec les gens. Moi, je sais filmer, vous savez rapper, vous avez des chansons que vous n’arrivez pas à éditer. Ce que je vous propose, c’est utiliser la caméra pour les éditer.
C’était un travail en trois dimensions. La dimension rap qui est tenu par les rappeurs. Il y a la dimension musicale, les instrumentaux, qui est tenu par des européens. Je tenais à travailler avec des européens pour qu’il y ait un côté mixte. Que se soit un travail entre l’Afrique et l’Occident. Et puis la dimension image. Et donc je considérai que dans ces trois dimensions là, chacun devait tenir sa place et chacun devait avoir toute sa place. Tu rappes, on ne va pas couper ton morceau. Tu fais l’instru, c’est l’instru telle qu’elle a été donnée. Et moi je filme, je fais le montage comme je le veux et personne ne m’emmerde. Chacun fait son taf et au final pour moi c’était une façon de rendre hommage à ceux qu’on voit dans le film mais aussi et surtout au peuple qu’ils représentent.
Et puis je m’étais posé la question à un moment comment peut-on faire du HipHop avec une caméra. C’était mon outil. Même si, moi je viens plutôt du cinéma de fiction. Comme le discours sur la France qui m’intéressait, venait des fois de groupes de rap comme NTM, je me disais comment est-ce que moi, vu que cette culture m’intéresse, comment avec une caméra et peu de moyens, faire du HipHop? J’ai trouvé ça. Enregistrer du rap sans couper, en décor réel et son synchro. Une petite astuce pour le son et voilà le réel transfiguré.
Du « one shot » en fait?
Oui. Cinématographiquement, c’est intéressant. Il y a le côté plan séquence, le côté documentaire des décors et des thèmes abordés et le côté fiction du réel qu’amène le rap. Il y a aussi le suspense lié au souffle du rappeur. Sans montage c’est sans filet. Mais bon, filmer un bon plan séquence, qui tienne en haleine sur toute la durée, c’est rare. Pour Foniké, ça a été providentiel.
Qu’est-ce que tu retiens de cette première aventure ?
C’était super intéressant, très motivant. Pour moi, c’était aussi une façon de tester quelque chose, de voir s’il y avait quelque chose de possible à faire. Après « Foniké », j’ai fait un deuxième film que je voulais plus abouti techniquement. Je suis parti avec un pote, une meilleure caméra. Avec celui là, j’ai volontairement cassé les clichés qu’il y avait dans « Foniké ». « Foniké », c’est aussi un film qui part vraiment des clichés qu’il y a dans le HipHop. Même son titre, c’est un hommage à l’esprit du HipHop. Et tout le film est comme ça. Des clichés que je respecte… Mais dans « Doto », mon deuxième film, je voulais les casser.
Par rapport à « Doto », vu que tu as eu un bon accueil de « Foniké », est-ce que tu as ressenti une certaine pression. Dans quelle condition tu as réalisé ce deuxième film ?
Je savais qu’il y avait des gens qui attendaient forcément ce que j’allais faire parce que « Foniké », c’est tombé un peu de nulle part. Les gens se sont dit « c’est quoi ça ! ». Donc moi, je tenais à continuer pour montrer que non seulement ce n’était pas un hasard mais encore que c’était une maquette. Que ça pouvait être le début de quelque chose et qu’il y avait plein de choses à faire, en mieux. Je suis vite retourné faire un truc. En cassant certains clichés, en jouant l’anti-commercial à fond, j’ai fait un film, par exemple, plus féminin que « Foniké ». Dans « Foniké », il y a que des mecs. « Doto » est plus féminin, il y a plus de paroles, plus de respiration, plus de poésie évidente, même si « Foniké », c’est de la poésie mais brute. Du coup, il y a des gens qui l’attendaient mais comme il a ce côté moins commercial… Il est plus sombre, ce ne sont pas des couleurs chaudes comme dans Foniké, c’est gris, bleu, vert avec un ciel toujours blanc. C’est ce qui m’intéressait aussi, c’est casser l’ image de l’Afrique qu’on a habituellement dans les films. Mais une partie du travail effectué s’appellait Lomélankolik (en référence à Lomé la capitale) et ça c’est pas trop en vogue chez nous. On veut voir la pêche qu’ont les africains pour pouvoir continuer a vivre.
« Doto » a quand même été diffusé près d’une fois par mois en moyenne dans des festivals. Il a eu sa petite vie. Il a eu des effets au Togo. Il a forcé les portes du centre culturel français. Et ça c’est vraiment pas mal car beaucoup de gens qui participaient au film, ce sont des gens qui tapaient au CCF depuis pas mal d’années et à qui on fermait toujours la porte parce que ce sont des jeunes du ghetto. Et là, ils ont eu leur soirées à eux. Ça a quand même généré des choses. Et puis le Togo, je vous invite à aller voir ce qui se passe là bas…..c’est intéressant quand on est français.
Justement au Togo, comment c’est fait le choix des artistes, des rappeurs ?
C’est grâce à un contact que j’avais avant même de tourner Foniké. On a concrétisé 4 ans après. Après « Foniké », on s’est dit qu’il était temps de faire le truc et ça a été rebelote. Réemprunter des sous…sauf que là mon pote avait une bonne caméra, on était deux, on a pu faire de bonne prises de son. On a amélioré le truc. Mon contact m’a présenté plein de gens du Togo et puis voilà.
Dans « Doto », il y a des rappeurs, des graffeurs, d’autres intervenants et tous dénoncent la situation critique, la corruption, la misère, l’état, l’incertitude du lendemain. Est ce que la culture HipHop joue vraiment son rôle? Et a t-elle de beaux jours devant elle ?
Elle pourrait parce que le Togo a cette force… Mais c’est aussi un pays que j’ai trouvé triste. Un pays qui a été sous domination française pendant très longtemps et qui la vit encore plus ou moins. Et du coup, les rappeurs ont une qualité d’écriture différente. Mais comme ils vivent dans une dictature, le rap ne peut pas vraiment éclore car il y a une loi du silence. Il y a des radios privées mais qui s’autocensurent très bien. Ça a été une dictature longtemps, maintenant il y a le fils du précédent dictateur qui est à la tête de l’Etat. Il prétend améliorer les choses, en fait c’est que de la poudre aux yeux. Et d’après mes derniers contacts, il parait que ça devient très dur économiquement. Bref pour le rap adulte, il y a vraiment aucune place. Donc en fait « Doto » sent ça aussi, des MCs qui sont épuisés, qui n’ont plus d’énergie.
Donc voilà: il y aurait un potentiel énorme grâce à cette qualité d’esprit particulière. La littérature togolaise par exemple est incroyable. Il y a une qualité intellectuelle qui fait qu’il y a du potentiel pour le rap Togolais mais il faudrait plus de projet comme « Doto », des projets qui viennent de l’extérieur, qui désenclavent. Ça va faire deux ans et les mecs attendent qu’on y retourne pour que ça ne meurt pas. Mais ce n’est jamais des ballades ou des vacances, c’est toujours assez compliqué. C’est difficile de parler de l’Afrique dans un pays qui ne veut pas en entendre parler. Et quand tu le fais on te prend pour mère Térésa ou d’autres conneries. C’est hyper compliqué. Mais ce qui m’a plu, c’est que tu trouves du sens immédiat alors qu’ici en France, tu te perds à en chercher…
Te sens-tu concerné par l’avenir de ces jeunes notamment la situation du Togo et de la Guinée et d’autres pays d’Afrique noire ?
Oui je me sens concerné. En fait si tu veux mes enfants sont métisses. C’est un mélange Franco-algérien donc je suis concerné directement. Quand il y a des problèmes en Palestine, ça rejaillit directement sur ma famille. Les effets, je les vois immédiatement. Depuis les grands explorateurs, on vit dans des relations d’interdépendance, échanges commerciaux prenant souvent la forme de pillages de ressources. L’Afrique, c’est un lieu de ressources incroyables, la France et beaucoup d’autres s’y servent tous les jours. Il y a des émeutes de la faim là-bas. Des relations qui sont anormales. Ce sont des relations de pillages et de vols donc moi en tant que Français, je me sens concerné. Ce qui se passe là-bas, ça rejaillit dans nos rues. Après tu peux te bander les yeux, faire ton petit boulot, acheter ta Clio, partir en vacances en Tunisie. Ou au Togo.
T’intéresses-tu sinon au HipHop dans la région? Tu as bossé avec pas mal de groupes et différentes structures. Avec tous ces voyages que tu as déjà entrepris comment vois-tu le niveau du HipHop dans la région ?
Il y a du niveau parce que la France est un pays où l’école est obligatoire jusqu’à un certain âge donc forcement ils sont obligés d’avoir de la syntaxe et de savoir rédiger un texte alors que ce n’est pas le cas dans les pays d’Afrique que j’ai vu. Du coup, il y a beaucoup de gens qui pratiquent ici aussi. En fait tous les raps m’intéressent tant que je serais dans cette démarche d’essayer de filmer la réalité chantée, donc forcément le rap de Lille m’intéresse aussi. Et c’est ma région natale. J’aimerais lui rendre hommage, enfin la filmer en tout cas. Mais quand je bosse sur un film, j’enregistre des choses en espérant d’abord que ces choses là vont offrir un angle de vue inédit sur la Réalité que tout le monde connait.
On peut voir une autre facette de ton travail sur le net, exemple quand on tape « paranoweed ». Peux-tu nous parler de ce projet ou ça reste du bouche cousue tant que ce n’est pas bouclé?
C’est plutôt l’inverse de bouche cousue, il y a déjà un site avec une quinzaine de vidéos et j’ai plus ou moins prévenu que ça devait faire un projet du type Foniké ou Doto. C’est à dire un moyen métrage et toutes une série de bonus. On a fait ça avec Paranoyan et son collectif. On a tourné des freestyles pendant deux semaines l’été dernier et on doit toujours terminer la partie fictionnelle qui est un peu plus dure à mettre en place. Scénario, écriture, ça retarde un peu surtout qu’entre temps moi je suis reparti en Guinée donc du coup j’ai tous mes rushs de Guinée. Mais sinon, pour moi, il n’y a pas de différence fondamentale entre ce travail là et celui fait en Afrique. J’essaie même de les relier pour encore mettre à mal cette idée de frontière.
