La mort du HipHop : Ces derniers temps, on en parle beaucoup. Bien sûr, ce thème est lié au dernier album de Nas, « HipHop is dead », mais aussi à la situation du rap et du HipHop au niveau commercial et médiatique. Qu’en est-il vraiment ? La Voix du HipHop donne son point de vue.
Le HipHop est-il mort ? Il est difficile de répondre à cette simple question par un oui ou par un non. Ceux qui répondent oui ont, en partie raison, mais ont aussi en partie tort. Ceux qui répondent non, ont raison, d’une certaine manière, mais ils n’ont pas tout à fait raison non plus. Tout dépend de la manière dont on perçoit, comprend, interprète et vit le HipHop.
Oui, le HipHop est mort, en tant que musique. Hank Shocklee (Bomb Squad, Public Enemy) dit que s’il n’y a plus challenge, s’il n’y a plus de créativité, il n’y a plus du HipHop. Et bien, quand on regarde la télé ou quand on écoute la radio, voire même lorsqu’on lit les magazines ou journaux majeurs, on ne peut que constater la mort du HipHop. On tourne en rond, toujours les mêmes lyrics, toujours les mêmes types de vidéos, toujours les mêmes sons, toujours les mêmes têtes, toujours les mes artistes d’ailleurs… Tout cela aboutit une sorte d’overdose. Une mort par overdose en quelque sorte.
Oui, le HipHop est mort, en tant que musique, parce que les disques ne se vendent plus… Enfin, les ventes chutent, ça n’intéresse plus le public. Donc, sur cet angle là aussi, on peut annoncer la mort du HipHop. Tout a été dit et entendu.
Oui, le HipHop est mort. Parce que tout le monde cherche à en profiter, mais personne ne cherche à le faire évoluer, ne veut en prendre soin. Un peu comme une vache qu’on ne nourrit pas mais qu’on ne cesse de traire. A force de ne voir le HipHop que comme marche pied, tremplin, bouée de sauvetage, ou vache à lait, justement, on l’a tué. Et les meurtriers sont beaucoup plus nombreux qu’on ne le pense. Les artistes, les producteurs, les labels, les promoteurs, les médias, le public, les institutionnels… tous ont contribué à sa mort.
Non. Le HipHop n’est pas mort. Tout simplement, parce qu’il n’est jamais né en fin de compte. Le HipHop a émergé. Le HipHop n’est pas quelque chose de tangible, de saisissable. C’est un état d’esprit, c’est une culture. Il est en chacun de nous, enfin ceux qui sont HipHop. Tant que nous sommes là, tant que nous serons animés par l’esprit HipHop, tant que nous serons soucieux de la culture HipHop, le HipHop sera là. Si tu prétends être HipHop comment le HipHop peut-il être mort ?
Non, le HipHop n’est pas mort. Parce que le HipHop ne se limite pas à ce que vous entendez à la radio, ni à ce que vous voyez à la télé, ni à ce que vous lisez dans vos magazines ou journaux. Le HipHop continue d’être créatif, original, diversifié, il suffit de faire l’effort de le découvrir. Il faut juste arrêter d’être attentiste et d’attendre qu’on vous apporte cela sur un plateau. Si les menus dans les restaurants auxquels vous allez sont toujours les mêmes, cela ne veut pas dire que les cuisiniers sont morts, qu’ils n’ont plus d’inspiration, ou qu’ils s’épuisent. Ca veut juste dire qu’ils sont payés pour préparer ce qu’ils vous proposent et si vous voulez autre chose, changez de restaurant ou préparez vous-même… Avec le HipHop, c’est pareil aujourd’hui, d’une certaine manière.
Le HipHop n’est pas mort. Ce serait faire preuve d’ignorance que de dire que le HipHop est mort alors que partout dans le monde, des individus, des associations, des structures vivent le HipHop et le font vivre au quotidien sous la forme de concerts, de festivals, de workshops, de débats et d’autres encore travaillent à sa transmission et à sa préservation. Le HipHop ne s’arrête pas à la musique encore une fois.
Le HipHop n’est pas mort. Ce serait faire preuve d’ignorance que dire que le HipHop est mort alors que les productions estampillées HipHop ne se cessent de croître qu’il s’agisse de disques, de livres, de DVDs, de spectacles et autres merchandising. C’est clair que nous ne sommes plus dans les années 80 ou au début des années 90 où quand on disait HipHop, on se comprenait. Le HipHop est bien vivant, il faut juste faire un effort pour le trouver.
Pour en revenir à Nas, il faut surtout y voir de la provocation… je pense qu’il veut surtout attirer notre attention. Le HipHop est en danger, et si nous faisons rien, le HipHop que nous aimons va mourir. C’est de ça qu’il est en question dans « HipHop is dead ». Et là, encore une fois, il s’agit essentiellement de musique, soyons clair. Mais, c’est vrai aussi que la musique, qu’on le veuille ou non, aujourd’hui, c’est le moteur, la vitrine de la culture HipHop.
Après, c’est sûr que le HipHop que nous avions connu dans cette période là, années 80 et début des années 90, n’est plus. On peut alors dire oui, il est mort, mais on peut aussi dire que le HipHop et le rap ont évolué tout simplement, tout comme les média et le monde économique dans leur perception et rapport avec le HipHop. D’un autre côté, c’est aussi cette évolution de la perception et du rapport au HipHop qui ont changé le HipHop. Et puis nous avons grandi aussi et forcement, d’une certaine manière, notre relation avec le HipHop a évolué.
Avant, il s’agissait d’être créatif, original. Il fallait sortir du lot. Le HipHop était une culture de créateurs, d’innovateurs, de trendsetters. C’est d’ailleurs drôle aujourd’hui, qu’il y ait des marques de fringues HipHop. Non pas que je sois contre, pas du tout. C’est juste que certains se contentent de s’afficher HipHop pour penser l’être comme s’ils portaient un déguisement. Avant par exemple, ce n’était pas les fringues qui étaient HipHop, c’était la manière dont tu les portais qui faisaient qu’ils étaient HipHop.
Avant, quand on te grillait en flagrant de délit de plagiat ou de crossover ou encore lorsque tu retournais ta veste, on te mettait à l’amende, tu te faisais traiter de sucker ou de sell out, tu étais mis au ban du HipHop… et c’était même parfois la fin de ta carrière. Aujourd’hui, tu es un sucker, tu es sellout, c’est bien, tu auras la reconnaissance de l’industrie du disque et des média. Et le public ? La majorité aujourd’hui n’en se rendra même pas compte et s’en moque de toute façon.
Il ne s’agit pas de nostalgie. Nous savons, pour certains d’entre nous, ce qu’est le HipHop. J’ajoute même que nous avons en mémoire ce qu’est le HipHop. Nous connaissons la culture, la musique. L’essence du HipHop est toujours là, bien présente. Le problème est que beaucoup ont pris le train du HipHop en marche, et, pour différentes raisons, ne cherchent pas à savoir d’où le train est parti, quel trajet il a pris et se permettent même maintenant de vouloir conduire le train. Comment voulez-vous avancer dans ce cas ? comment vous rendre compte que vous tournez en rond ou que vous reveniez en arrière si vous ne saviez pas par où est passé le train avant que vous montiez ? Voilà la situation dans laquelle nous nous sommes retrouvés. Vous dites que le HipHop est mort, nous, on dit, nous sommes déjà passés par là. Comment pouvez-vous dire que le HipHop est mort si vous ne savez même pas ce qu’est le HipHop ?
Chacun est libre d’interpréter, d’apprécier, et de vivre le HipHop à sa manière. Mais, c’est une culture. C’est un ensemble de codes, d’expériences, de connaissances, de manière de penser et de voir le monde qui se transmet par le biais de la musique, de la danse, du graffiti, des écrits, des discours. Ce n’est pas un objet avec lequel on s’amuse un moment et qu’on jette après. Le HipHop est un peu comme une torche qui se transmet à travers le temps et les zones géographiques. La torche n’est pas perdue, elle est toujours là, il faut juste aller la chercher et la mériter.
La mort du HipHop, s’il faut reprendre les termes, est annoncée depuis longtemps. Ce n’est pas nouveau. Déjà en 83, certains voyaient en l’emergence de Run DMC, avec « It’s like that » and « suckers MCs », la fin du HipHop. Ces gens là étaient ce qu’on appelait la Old School. Et oui, en 1983, certains de la Old school prédisait la mort du HipHop à cause de Russel Simmons, manager du groupe et entrepreneur !! et aujourd’hui, pour d’autres, Russel Simmons est le God father du HipHop et Run DMC est des tous meilleurs groupes de l’histoire du HipHop. Bien sûr le HipHop n’est pas mort avec Run DMC mais il a changé d’ère.
Vers le milieu des années 90, on a aussi annoncé la mort du HipHop. Pas tant en raison des décès de Tupac et de Biggie smalls d’ailleurs. Non, le HipHop a été annoncé mort avec l’émergence de Puff Daddy en tant que dynamique du HipHop. Bien sûr une fois encore, le HipHop, n’est pas mort (vu qu’il vient de mourir maintenant, n’est-ce pas !!!). Nous sommes juste entrés dans une nouvelle ère encore une fois.
Il y a eu d’autres alertes aussi entre temps, d’autres chroniques d’une mort annoncée, comme au début des années 90s avec l’émergence de la West coast/G-funk avec Dr Dré, comme encore au début du nouveau millénaire avec Master P et l’émergence du rap du « dirty » south au premier plan…
Aujourd’hui, c’est encore une mort annoncée, une autre mort annoncée !
Comme je l’ai souligné, chaque mort annoncée du HipHop marquait finalement son entrée dans une nouvelle ère. Ce qui se passe aujourd’hui, c’est du déjà vu, en quelque sorte. Cependant, il est temps d’en prendre conscience, de tirer profit des expériences passées, de nous appuyer sur notre riche histoire commune et nos relations particulières avec cette culture, afin d’amorcer la naissance finale du HipHop (ou la HipHop, c’est comme vous le sentez).
Ce que je veux dire par là, c’est que le HipHop, ce n’est pas rien, ce n’est pas n’importe quoi : Plus de 30 ans, après son émergence, le HipHop a démontré sa pertinence, sa pérennité, sa créativité et sa validité (à la fois, artistique, culturelle, sociale, mais aussi politique, économique et commerciale). Le HipHop a des bases, des principes, des modèles de réussite et d’échec. Nous sommes aujourd’hui capables de dire ce qui est HipHop et ce qui ne l’est pas. Nous devons désormais prendre position. C’est dans ce sens là, qu’il faut comprendre « naissance finale ». C’est le moment. Nous ne pouvons plus nous permettre de tourner en rond, et de laisser les autres dire ce que nous ne sommes pas.
Nas a réussi à attirer notre attention à tous sur l’état du HipHop. Maintenant qu’allons-nous faire ? Qu’allez-vous faire ? C’est dans ce sens là aussi qu’il faut comprendre «naissance finale du HipHop ». Où et comment allez-vous vous positionner ?
C’est ce que Nas nous reproche d’ailleurs. Peu de gens prennent leurs responsabilités, leurs responsabilités et devoirs par rapport au HipHop en fait. Ce n’est pas un hasard si dans le refrain du morceau « HipHop is dead », Nas veut s’en prendre aux DJs « Roll to every station and wreck DJs ». Ce n’est pas étonant non plus que DJ Premier s’en prenne régulièrement à ces mêmes DJs (notamment dans « The Owners »). Les DJs représentent un problème évident. Parce que les DJs sont les transmetteurs originaux de la culture, les DJs sont les acteurs originaux de la culture HipHop et le fait est que la plupart des DJs ont abandonné leurs postes et fui leurs responsabilités. Ils sont devenus des Tatayets et des robots comme dirait DJ Premier. DJs, assumez votre position dans leur culture HipHop !
Oui les DJs, mais le problème se limite pas aux DJs, les MCs, les labels, les producteurs, les média, le public, tous, sont concernés. Parce que si le HipHop venait à mourir, les suspects seraient bien nombreux… Mais c’est un autre débat ?