Triptik est un groupe de rap parisien composé des rappeurs Black’Boul et Dabaaz, et du producteur Drixxxé. La formation est complétée sur scène par DJ Pone. Dans un passé pas si lointain, nous n’aurions pas eu besoin de les présenter. Le groupe a eu, en effet, une première vie. Très riche. Avec notamment 3 albums, pas mal de maxis et beaucoup de concerts et de tournées. Tout cela, c’était entre 1996 et 2004. Aujourd’hui, Triptik revient. Qu’ont-ils fait depuis ? Pourquoi reviennent-ils aujourd’hui ? Pourquoi faire ? Les réponses dans cet entretien réalisé lors de leur venue à Lille pour Les HipHop Dayz.
Avec le recul, quel bilan tirez-vous de votre parcours, et pensez-vous avoir obtenu ce que vous méritez jusqu’à présent ?
Black’Boul : Notre parcours est honorable. Nous avons eu la chance, déjà, d’avoir eu un peu de rayonnement contrairement à beaucoup. Nous avons commencé avec des mecs qui n’ont jamais pu percer ou faire parler d’eux. Et si nous avons eux de la chance, c’est aussi parce que nous nous sommes donnés à fond.
Drixxxé : La première compilation à laquelle nous avons participé, HipHop Vibes en 1997, était déjà comme un rêve pour nous. Ensuite, après notre premier album, on a fait pas mal de maxis en 2000. C’est à ce moment là qu’on a signé avec Cut Killer. Ce qui nous a permis de faire le maxi avec Blahzay Blahzay, et de faire pas mal d’autres choses par la suite. C’était un peu comme une consécration. Au final, on a réalisé notre rêve, on a fait ce qu’on voulait, on a fait plusieurs albums. On a pu voyager.…
Nous sommes donc, à la fin des années 90, au début des années 2000. Est-ce que c’était une bonne période pour les artistes indépendants comme vous ?
Dabaaz : Nous avons vécu la période la plus dynamique du HipHop. Nous sommes arrivés pile poil au moment où tout s’est ouvert. Il y avait un gros réseau associatif de radios BlackLists, plein de salles de concerts, et encore pas mal de subventions. Il y avait aussi toutes les radios qui émergeaient à Paris… des émissions spé pour rencontrer d’autres rappeurs, ce qui était mortel d’ailleurs. C’était une bonne période, il y avait une bonne émulation.
Finalement, avec Triptik, on s’est laissé porter par tout ça. Les choses allaient vite. On a eu des grosses opportunités pour un groupe indépendant : des planète Rap sur Skyrock, « Charly et Lulu » sur M6. On a joué dans des gros festivals. On a presque eu accès aux réseaux de variété. On a fait des scènes avec des gens Francis Lalanne par exemple.
Et puis, nous étions aussi entrepreneurs, vu que nous avions notre propre label. Il fallait gérer tout ça. Ça nous prenait du temps, et c’est un peu cela aussi qui a foutu la merde dans le groupe.
Black’Boul : Cela a été même la cause de la séparation. Déjà, la fermeture du label, Concilium, a créé des prises de gueules entre nous… En fait, nous étions, à la limite, trop autonomes. Nous avions déjà notre identité, nous avions besoin que d’une distribution à la rigueur. Nous avions juste besoin d’un petit coup de pouce pour passer à l’étape supérieure. Petit coup de pouce que nous n’avons pas eu. Parce que nous faisions peur aux maisons de disques.
Drixxxé : A un moment donné, on passait plus de temps à nous occuper de tout (la gestion, la distribution) sauf de la musique.
Dabaaz : Et le problème, c’est que ça nous rapportait que dalle ! Donc ceux qui pouvaient bosser à côté bossaient à côté, BlackBoul a eu son enfant jeune, les apparts, etc., tout ça devenait lourd. C’est vrai que l’âge a joué aussi, au début, on s’en foutait, on s’amusait mais à un moment, il faut se poser.
Drixxxé : Surtout que tout l’argent qu’on gagnait on le réinvestissait dans le label, dans le studio. On se disait que c’était un investissement pour la vie. Du coup, dans la vie quotidienne, c’était compliqué… Au bout d’un moment, ça use. Et il y a eu une pause !
« BlackBoul, Dabaaz, complémentaires comme le Yin et le yang »</i>. Or dans le dernier album en date « TR303 », les solos de chacun n’annonçaient-ils pas déjà l’émancipation de chacun vis-à-vis du groupe ?
Dabaaz : On a toujours fait un peu de solos dans nos albums, un peu plus dans le dernier. Mais c’est vrai qu’à l’époque de TR303, on était plus dans une approche solo.
Drixxxé : C’est vrai qu’à un moment, chacun voulait s’exprimer plus personnellement. Quand on est dans un groupe, on est plutôt, en mode communiste. Il faut que ça plaise à tout le monde et que tout le monde soit à fond. Et donc, c’est aussi normal que chacun veuille explorer ses propres envies.
Qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui vous reprenez du service ?
DJ Pone : Il y a une espèce de mode du « reprenage de service », comme avec les NTM, Police ou encore le groupeTéléphone… Mais en ce qui nous concerne, c’est lié à un évènement malheureux, la mort d’un ami. Dabazz, Blackboul et moi, nous nous sommes retrouvés au cimetière. Après nous sommes passés chez moi. Là, nous nous sommes rendus compte que ça faisait des années que nous ne nous étions pas réunis tous les trois. Et puis, à un moment, j’ai sorti des disques de Triptik, j’ai mis une instru, ça nous a rappelé des souvenirs. L’idée de refaire quelque chose ensemble ? On en a parlé quelques jours après. Parce qu‘il y a un mec qui m’a dit qu’il aimerait bien faire un concert Triptik. Voilà, c’est reparti comme ça.
Dabaaz : C’était pareil avec Drixxxé, quelque temps avant ou après… Nous avons eu le même déclic. On se disait qu’on devrait refaire quelque chose… Mais ensuite, pendant 6 mois, nous n’avons rien fait. Du coup, la date nous a tous reboosté.
Black’Boul : Nous avons maintenant quelques morceaux dans les tuyaux mais nous attendons que Drixxxé termine son projet Mc Luvin.
Dabaaz : Nous nous soutenons mutuellement et chaque projet qu’on fait à côté aide tout le monde d’une certaine manière. C’est vrai aussi qu’aujourd’hui, nous sommes moins souples. Ce n’est plus comme lorsqu’on a 20 ans et qu’on a rien d’autre à faire. La chance qu’on a aujourd’hui ? On n’a plus de label, mais on fonctionne en autonomie totale, on peut enregistrer quand on veut et on n’a pas forcement besoin de penser en terme d’album ou de label. On peut sortir ce qu’on veut, quand on veut.
Black’Boul : Il y a tout à inventer aujourd’hui. C’est une période dingue. Il n’y a plus d’intermédiaire entre toi, ce que tu fais et les gens qui peuvent écouter ou être intéressés par ce que tu fais. Du coup, il n’y a plus de contrainte. Et l’avantage avec nous, c’est qu’on a un passé.
Qu’est-ce qui semble le moins évident, quand on a un passé justement, et qu’on revient sur le terrain d’un rap français qui a bien changé entre temps ?
Dabaaz : Et bien, tu te rends compte qu’il y a beaucoup de nostalgie. Les gens ne nous ont pas oublié. Pour l’instant, nous n’avons fait que des shows nostalgiques d’ailleurs. Mais notre challenge, c’est de basculer doucement vers de nouveaux trucs, ajouter de nouveaux morceaux, de voir Drixxxé monter sur scène avec des instruments
Black’Boul : On bosse sans se prendre la tête. On avance étape par étape et on reste pragmatique. On fait des morceaux, il y a pleins de projets qui arrivent : Mc Luvin de Drixxxé, DJ Pone prépare Birdy Nam Nam pour septembre 2011, Dabaaz prépare un EP solo pour le printemps. Moi aussi, j’ai un projet avec deux nouveaux gars, Rimcash & Didaï. Maintenant, c’est plus facile avec Internet, j’enregistre chez moi. Nous avons fait 12 morceaux en deux mois. 2011, c’est le début de tout. C’est un peu le bordel, mais on ne se pose plus de questions non plus, on n’attend plus pendant six moins la signature avec un label qui va mettre dix ans à sortir ton disque. On fait nos morceaux, s’ils sont bons, on les sort.
BlackBoul, il y a quelques années tu déplorais déjà le manque de good vibes dans le rap français. Aujourd’hui, avec l’évolution qu’a connu le rap français, que dis-tu ?
Black’Boul : Aujourd’hui, ça se décloisonne…
Dabaaz : Je ne sais pas si c’est l’âge, mais je trouve que c’est de plus en plus en cool. Les embrouilles, les histoires, les ambiances « coupe-gorge » qu’on a connus avant, tu n’en vois plus maintenant. Je trouve que c’est beaucoup moins violent qu’avant et que les gens sont beaucoup plus détendus. Il y a moins de ségrégation entre styles, entre couleurs,… Après, peut-être que je suis un peu utopique. Et puis, c’est vrai aussi que nous ne fréquentons plus les mêmes endroits qu’avant.
Black’Boul : Je pense aussi que les endroits qu’on a connus n’existent plus non plus…
Dabaaz, « Moi, ma gueule et ma propre personne », quelle était l’ambition de cet album, et est-ce que tu l’as sorti dans de bonnes conditions ?
Dabaaz : C’était un album très personnel. Il a été réalisé en indépendant. Je ne voulais pas régresser, c’était le premier album qui sortait après Triptik. On avait un certain niveau et une certaine exigence dans la réalisation, et je me disais comment faire pour rester à la hauteur. J’ai fait l’album avec le label Disque primeur, qui n’avait pas d’oseille mais qui en a mis là où il fallait, pour le studio, etc. On a fait un beau clip qui est passé à la télé. Donc franchement, je n’ai pas à me plaindre. Après la promo n’était peut-être pas la meilleure du monde. J’étais un peu déçu au final même si je ne m’attendais pas à grand-chose…En gros, j’ai vendu 2500 à 3000 disques. J’ai fait une tournée un peu naze, aussi. Et puis avec le recul, je me suis dit que je n’aurai pas du faire un album comme ça, que je n‘aurai pas dû essayer de plaire à tout le monde et de faire des morceaux à la mode. Après cela, je n’ai plus rien fait. Aujourd’hui, je sais ce que je veux faire. Et c’est pour cela que j’ai sorti ce nouveau clip avec du rap naturel.
Drixxxé, tu as signé quelques productions dans l’album solo de Dabaaz, mais j’ai l’impression que tes productions se font de plus en plus rares dans le rap français. Pourquoi ?
Drixxxé : Tout simplement d’abord, parce qu’il n’y a plus d’albums de Triptik. Je n’ai jamais fait beaucoup de productions en dehors de Triptik. Souvent mes sons je les proposais, mais les gens ne le prenaient pas à l’exception de quelques uns… Et puis, il y a aussi le fait que les gens pensaient que je ne produisais que pour Triptik,
Aujourd’hui, est-ce que vous faites du rap pour les mêmes raisons qu’avant ?
Black’Boul : Non, mais il y a quelque chose de pernicieux avec le rap : quand tu commences à écrire, ça devient comme une drogue. C’est une thérapie. Christian Baumin, un auteur que Drixxxé m’a fait découvrir, a dit «
Un homme sain d’esprit c’est un fou qui tient sa folie dans une poche de sang noir ». Le rappeur, c’est exactement ça. Quand tu as des passages à vide, tu peux le dire dans un texte, quand tu as des moments euphoriques, tu peux le dire dans un texte. Quand, il y a un truc qui ne te plait pas, tu peux le dire dans un texte. Le rap est une sorte de soupape pour moi. C’est un défouloir.
Qu’est-ce qu’internet a changé dans votre approche de la musique ?
DJ Pone : je ne pense pas qu’Internet change quoique ce soit dans l’approche de la musique justement. C’est une fois qu’on a fini de faire notre musique que l’approche a changée. Ca retire du stress, on se pose moins de questions du genre : comment vais-je sortir mon disque ? Où je pourrais le masteriser ? Où est-ce que je peux aller pour faire le mix ? Dans la musique électronique, par exemple, c’est une question qu’ils ne se posent même pas. Grâce à internet, finalement, on peut-être plus décontracté !
Que peut-on attendre de Triptik dans les mois à venir ?
Black’Boul : Avec Triptik, nous avons quelques featurings en préparation. Dabaaz va sortir un EP 5 titres pour le printemps. Moi, je prépare un album avec Rimcash et Didaï, qui sortira au premier trimestre 2011. Drixxxé est en studio pour le projet Mc Luvin qui devrait sortir au printemps. DJ Pone prépare le prochain album de Birdy Nam Nam prévu en septembre et travaille sur l’album d’un chanteur rock, José Reis Fontao.
Pour plus d’informations: Le groupe Triptik: www.myspace.com/triptik97 DJ Pone : www.myspace.com/djpone1 Drixxxé : www.myspace.com/drixxxe BlackBoul’: www.myspace.com/gregfrite Dabaaz : www.myspace.com/ledab |